Blogue de Lyne Robichaud

01 octobre 2011

De quoi ou de qui avez-vous peur?


Cette semaine, mon ami Marc Garriga de Barcelone m’a transmis un article en Catalan, qui indique que l’opendata (ou le gouvernement ouvert), ce n’est pas à propos de la technologie, mais c’est de la politique. J’ai des amis formidables situés un peu partout sur la planète, qui m’encouragent dans mes démarches d’opengov advocacy. Sans leur soutien, j'aurais abandonné il y a longtemps. Parce que jour après jour depuis des mois, ce n’est pas facile de continuer de répéter la même affaire et d'écrire lettre après lettre, compte tenu de l'ampleur de la peur du changement chez les décideurs. Suite aux articles de presse de cette semaine à propos de la corruption, les observateurs de l’extérieur comprennent désormais mieux pourquoi le gouvernement du Québec est lent à adopter le gouvernement ouvert.

Quelqu’un de mon entourage s’est écrié dernièrement avec véhémence: «Penses-tu sincèrement que Lyne Robichaud va arriver à changer le gouvernement? Es-tu tombée sur la tête? Pourquoi fais-tu cela? Tu perds ton temps.» J’ai répondu que je fais ce que je fais parce que je me dois de le faire. Si personne ne réagit, si personne n’intervient et ne propose un autre modèle, le gouvernement va continuer à agir comme bon lui semble. Il va rester comme il est. Je fais ce que je fais parce que je me sens responsable.

Je me sens aussi toutefois comme un grain de sable, une goutte d’eau dans l’océan, face au gouvernement. Voir cette caricature de @davidlemelin99 à propos de la collusion et de la demande d’une commission d’enquête publique.

Ce matin, je suis tombée par hasard sur ce gazouillis de @jcbouniol, qui consiste en une énumération de mots. Ces mots, juxtaposés les uns à côté des autres, font réfléchir. «Quelques mots clés: argent, pouvoir, terreur, narcotique, mondialisation, collusion, corruption, blanchiment, paradis fiscal, violence.»

Jeudi 29 septembre à 12h02, l’équipe Gautrin a écrit sur sa page Facebook: «Il faut rester confiant pour la suite des choses.»

Ben voyons.

Bien entendu, en tant que citoyens, nous devrions avoir confiance en les élus et en le gouvernement. C’est ce qui devrait idéalement survenir. Cependant, pour que la confiance règne, celle-ci doit s’appuyer sur quelque chose.

Qu’est-ce que la confiance?

La confiance permet d’établir un autre rapport face à l’avenir, en donnant la possibilité de croire que l’espace des possibles est toujours ouvert: à la différence de la peur qui porte chacun à s’enfermer à l’intérieur d’un univers clos, où rien n’est plus possible, la confiance permet de sortir de la paralysie et de contourner les obstacles.

La confiance peut intervenir pour casser le cercle de la peur, en réintroduisant dans le monde la possibilité de l’espoir, en poussant chacun à parier de nouveau sur soi-même, sur les autres et, plus généralement, sur l’avenir.

Niklas Luhmann, dans La confiance, un mécanisme de réduction de la complexité sociale (Paris, Economica, 2006), indique: «Nous ne pouvons pas, la plupart du temps, contrôler directement la fiabilité des instances et des personnes à qui notre confiance est accordée bien que nous soyons simultanément contraints d’accorder cette confiance.»

Voici une autre définition de la confiance: «Croyance spontanée ou acquise en la valeur morale, affective, professionnelle... d'une autre personne, qui fait que l'on est incapable d'imaginer de sa part tromperie, trahison ou incompétence.»

La classe politique ne contribue guère à donner une image positive d’elle-même ces derniers temps. L’actualité est marquée d’événements révélant que des élus et gestionnaires gouvernementaux pourraient être peu recommandables aux plans éthique et moral. Cette situation contribue fortement à la dégradation du climat politique. Le fossé entre citoyens et élus se creuse. Ces derniers temps, la défiance des Québécois envers leurs élus et dirigeants politiques risque de s’être encore accrue. De nombreuses personnes estiment que les personnalités politiques ne se préoccupent pas de ce que pense la population. Plusieurs personnes pourraient estimer également que la démocratie au Québec ne fonctionne «pas très bien» ou «pas bien du tout». Voir l’article de Bernard Descôteaux intitulé «La démocratie québécoise gangrenée par la corruption».

Cette problématique de perte de confiance n’est pas unique au Québec. Ailleurs, les politiciens rencontrent des problèmes semblables. Sauf qu’au Québec, nous risquons de devoir faire face à un phénomène de perte de confiance plus grave, ce qui signifie que nous devrons déployer des efforts plus considérables pour renverser la vapeur.

«On va dans une politisation négative qui va de pair avec une défiance à l'égard des politiques. Les Français gardent confiance en eux-mêmes et dans le premier cercle les entourant, amis et voisins, selon ce baromètre. Le défi est de transformer cette confiance là en confiance politique», estime Pascal Perrineau. «Là ce n'est pas une mince affaire», observe le politologue.

Ce n’est pas une mince affaire non plus de mettre en place un gouvernement ouvert.

La suite des choses, après avoir déposé le rapport d’analyse (ça, c’est la partie la plus facile), ce serait de transposer ce qui est écrit dans la réalité, en procédant à une déclaration de gouvernement ouvert. La suite des choses, ce serait de progresser vers l’implantation d’un gouvernement ouvert, basé sur la transparence des données gouvernementales, participation et collaboration avec les citoyens.

Or, depuis le début des travaux d’analyse du potentiel du Web 2.0, le premier ministre Jean Charest n’est pas intervenu une seule fois. Depuis un an, si nous avions entendu parler de cette analyse qu’il a commandée, nous aurions sans doute été plus confiants.

Si nous avions pu observer, dans d’autres situations, que le premier ministre avait démontré de l’écoute, avait combattu ses peurs, et que cela s’était traduit par une action éclairée, nous aurions sans doute été plus confiants.

Hier (30 septembre), Vincent Marissal a décrit un climat de «Perte de confiance» chez les élus municipaux dans La Presse:
«Avant de partir pour un voyage de quelques jours en Europe, M. Charest en a toutefois pris plein la tronche, en particulier hier midi devant la Fédération québécoise des municipalités, réunie en congrès à Québec.

Devant plus de 2000 élus municipaux et un premier ministre isolé, M. Généreux a ajouté: «Il est de votre devoir, comme chef d'État, de mettre fin à cette dérive de nos valeurs, d'éradiquer cette gangrène qui menace nos institutions et qui finit par dévaloriser nos fonctions d'élus.»

Les élus municipaux, qui sont aux premières loges des magouilles dans le domaine de la construction et des chantiers routiers, réclament le grand ménage depuis des années, eux aussi.

La réaction tout juste polie des dirigeants municipaux envers le premier ministre et la grogne de leur président démontrent bien que le courant ne passe plus entre Québec et les municipalités. On sent nettement la perte de confiance.»
Des milliers de citoyens ont attendu cette semaine une certaine «illumination» de la part du premier ministre, suite à la présentation du rapport Duchesneau à des membres de l’Assemblée nationale. À mon avis, personne d’autre que Lise Payette a su décrire aussi bien qu'elle cette espérance.
«Mardi soir dernier, en allant dormir, après avoir écouté le plaidoyer de Jacques Duchesneau, je me suis dit que mercredi serait enfin le jour où vous verriez la lumière. Que vous ne pourriez pas être insensible à ses mises en garde et que le diagnostic qu'il portait sur ce que notre société était devenue allait vous pousser dans vos derniers retranchements. Que vous alliez vous comporter comme le grand premier ministre que vous voudriez être et que vous alliez assumer les responsabilités qui vont avec le titre.

Votre totale insensibilité à ce que vivent les Québécois, en attendant une commission d'enquête publique qu'ils réclament depuis un long moment, ne semble même pas vous déranger. Ce peuple qu'on vole et qu'on exploite et qui n'a pas les moyens de se défendre devrait pouvoir compter sur vous pour entreprendre le grand ménage qui s'impose et pour l'aider à retrouver la santé citoyenne une fois que le cancer de la corruption aura été détruit. Il vous appelle au secours et votre répondeur n'arrête pas de répéter qu'il n'y a pas d'abonné au numéro qu'il a composé. De quoi ou de qui avez-vous peur?»
Cela fait plusieurs années, que chaque soir, en allant dormir, je suis dis le gouvernement verra enfin la lumière, et se décidera à marcher vers une politique de gouvernement ouvert. (Pas juste sur le papier d’un rapport. Mais dans la réalité.)

De quoi ou de qui avez-vous peur?

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