Je réponds ici à un billet de Xavier Aucompte intitulé «Pandémie H1N1: Les obligations des dirigeants et DRH d'entreprises. Pourquoi autant d’entreprises ne se préparent pas?» dans le Blog des managers 2.0 (B-r-ent.com).
Je ne suis pas du tout étonnée que 80% des Français (et cela pourrait probablement s’appliquer à la majorité des autres nationalités) ne s’inquiètent pas au sujet de la grippe A/H1N1. Si 20% des gens se soucient actuellement de la menace pandémique, c’est environ 10% de plus qu’en 2007-2008 (L’intérêt pour la pandémie est peu élevé, révèle un sondage canadien).
Xavier Aucompte pose dans ce billet une question vraiment existentielle, concernant l’indifférence et l’apathie des populations aux grandes problématiques mondiales, dont les pandémies font partie. Cela fait des années que je me pose la même question, et je n’ai pas encore trouvé de réponse satisfaisante. Je crois que ce n’est pas nécessairement lié directement à la pandémie, mais qu’entre en jeu un certain nombre de facteurs associés à notre mode de vie moderne. On pourrait parler du déni pendant longtemps, et couvrir des pages entières, sans arriver à des solutions répondant au déni actuel. Il s’agit d’un sujet fascinant que de tenter de cerner les mécanismes de réaction des gens face au danger.
De tous les «experts» mondiaux, la personne qui, à mon avis, se penche sérieusement sur cette problématique, est le communicateur de risques Peter M. Sandman. Après avoir observé les comportements, il a classé les réactions des gens dans un certain nombre de catégories. (Il s’agit des Inattentifs; Navigateurs; Railleurs; Dupes; Attentifs; Fanatiques; Dénieurs - Vendre l’état de préparation à une pandémie, à la famille et aux amis). J’ai noté qu’il y avait certaines catégories pour lesquelles c’était foutu, en quelque sorte, qu’il n’y a absolument rien à faire pour tenter de les convaincre de la menace pandémique. Il est dommage que ce genre d’information ne soit pas largement partagé et diffusé, car ces données pourraient grandement aider les gestionnaires d’entreprises à mieux communiquer avec leurs employés.
Peut-être que les messages initiaux concernant la pandémie ont été trop rassurants? L’attention des gens ne dure que quelques jours – la plupart sont incapables d’exercer une vision à long terme. Le moment crucial d’attention mondial est survenu vers le 25 avril dernier, entre deux changements de phases (de la phase 4 à la phase 5). Sur Twitter, par exemple, «swine flu» s’est classé numéro 1 parmi les sujets les plus populaires pendant quelques journées consécutives. Mais on a dit à ce moment-là aux gens que le virus de la grippe porcine était semblable à la grippe saisonnière. On a leur a dit aussi qu’il mourait chaque année X personnes de la grippe saisonnière. Puisque le ciel ne leur est pas tombé sur la tête dans les quelques jours qui suivirent le déclenchement de la pandémie, les gens sont passés à autre chose.
Un autre élément à considérer est le fait que la pandémie est arrivée avant que les préparatifs pandémiques mondiaux aient eu le temps d’être complétés. En novembre 2008, David Nabarro, le chef d’orchestre mondial des préparatifs, coordonnateur de la grippe humaine et aviaire à l’ONU, a estimé que l’état de préparation mondial avait atteint seulement 40% (David Nabarro évalue l’état de préparation mondial de pandémie à 40% de l’objectif global). Il a dit également qu’il fallait qu’ait lieu davantage de préparatifs pandémiques «sociaux, économiques et politiques» (Le nouveau rapport de l’ONU recommande une planification multisectorielle). La pandémie est arrivée entre-temps, en avril 2009, et les plans de Nabarro ont été bousculés par la réalité. S’il n’y avait pas eu le déclenchement de la pandémie dans l'intervalle, de nombreux plans d’action auraient peut-être pu être déployés auprès des entreprises du monde entier…
Par ailleurs tout le travail en amont qui était (probablement) planifié auprès des entreprises n’a pas vraiment eu le temps d’être orchestré (comme cela a été pratiqué par l’ONU auprès des gouvernements des nations du monde, par exemple).
La population mondiale n’a jamais été intégrée non plus dans les préparatifs pandémiques.
Il était question à cette époque (automne 2008) à l’ONU, de développer la communication. L’ONU a indiqué dans un rapport sur les préparatifs pandémiques mondiaux que la traduction de la prise de conscience et de la connaissance constitue un réel défi. «Des approches de la communication à long terme en vue des modifications comportementales sont nécessaires, en particulier des approches adaptées aux contextes sociaux, économiques et culturels de la population. La communication en vue des modifications comportementales est un composant complémentaire essentiel de chaque aspect des activités dans le domaine de la grippe aviaire et humaine. Les populations doivent disposer des connaissances et des moyens nécessaires à la mise en pratique des recommandations. L’instauration d’une relation de confiance entre les populations et les autorités, en particulier en ce qui concerne les mesures de contrôle qu’elles prônent, jouera un rôle crucial pour permettre aux gens de se protéger contre la grippe aviaire pathogène et de limiter les conséquences potentielles de la maladie et d’autres maladies infectieuses émergentes. Des études ont confirmé que la traduction de la prise de conscience et de la connaissance sous la forme d’une modification efficace du comportement reste un défi.» (Responses to Avian Influenza and State of Pandemic Readiness: Fourth Global Progress Report]. Synopsis en français, paragraphe 18)
Concernant les communications en entreprise, un sondage plutôt consternant vient tout juste d’être publié aux États-Unis. La plupart des travailleurs n'ont pas eu de directives de leurs employeurs à propos de la saison de grippe à venir, selon une enquête nationale dévoilée le 21 septembre 2009 par Mansfield Communications Inc. 69% des répondants déclarent n’avoir reçu aucune communication concernant les politiques en milieu de travail se rapportant au H1N1, pas même des informations relatives au lavage des mains ou aux congés de maladie. «Le fossé entre les connaissances diffusées et la pratique est alarmante. Près de la moitié des répondants ont déclaré qu'ils continueraient à s'engager dans des activités publiques avec pleine connaissance de leur infection. De toute évidence, il y a beaucoup à faire pour sensibiliser les travailleurs de l’Amérique, et aider les gens à agir de façon appropriée afin de contenir la propagation du H1N1.» (No communication to workers from employers about policies in the workplace pertaining to H1N1: study)
Tout cela nous démontre qu’il reste une tâche titanesque à abattre côté communications et sensibilisation. L’information conduit à l’empowerment.
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