Blogue de Lyne Robichaud

04 mars 2012

Accepter de faire «assez bien», que cela signifie-t-il, pour un gouvernement ouvert?

Avec le gouvernement ouvert et les données ouvertes, les nouvelles technologies de l’information sont considérées comme l’une des forces majeures du changement. Cependant, la recherche de nouveauté en systèmes d’information accorde une place prééminente à la technologie dans la transformation organisationnelle, au risque de négliger de nombreux facteurs sociaux et environnementaux.

Il a été discuté, lors du Web à Québec 2012, de la nécessité d’accepter de faire les choses «assez bien». Cela s’adressait au gouvernement du Québec, mais cette suggestion pourrait s’appliquer à la plupart des gouvernements, à des entreprises, et à des organisations.

Accepter de considérer l’«assez bien» serait une innovation de rupture, un début de transition organisationnelle vers davantage de souplesse.

Le fait de vouloir tout faire parfaitement, être parfait ― montrer un masque de perfection ― a pour effet de rendre la plupart des rouages assez rigides.
Il y a plusieurs types de personnalité d’être humains. Les gouvernements sont gérés par des êtres humains, mais je préfère parler de modèles, dans le cas des gouvernements.

Dans «Comment gérer les personnalités difficiles», F. Lelord et C. André expliquent en quoi consiste une personnalité «obsessionnelle». Voici leur description:
«La personnalité obsessionnelle se caractérise par son perfectionnisme. Ce qui n'est pas parfait à 100% est un échec total. Son attention au détail est telle qu'elle en perd souvent de vue l'ensemble. Si elle est perpétuellement envahie par le souci de bien faire, elle a toutefois tendance à penser que sa méthode est la seule qui garantisse la perfection et ses règles les seules acceptables. Ce qui lui fait considérer que les autres ne sont pas fiables. Habitée souvent d'un reliquat du sentiment de toute puissance infantile, elle se sent responsable de son environnement et de tout ce qui s'y passe, elle prend la responsabilité de le maintenir en ordre. Elle a tendance à se laisser envahir par le doute, tant la décision semble difficile de peur de commettre une erreur. Elle fait preuve d'une certaine froideur relationnelle, c'est une personnalité qui se montre formelle, souvent embarrassée et a beaucoup de mal à se montrer chaleureuse.»
Cette description correspond à un comportement extrême. Cependant, en examinant les comportements difficiles, il est possible de saisir rapidement qu’un excès de rigidité ne favorise pas l’épanouissement d’une relation de collaboration avec des citoyens, dans un contexte de gouvernement ouvert.

Accepter la suggestion de faire les choses «assez bien» serait un début de transition organisationnelle : une piste de solution, qui ouvre la voie sur le questionnement d’un des modèles ― le modèle de la perfection ― qui pourrait avoir pu être préconisé.

Comment fait-on pour respirer l’«assez bien»? Comment travailler de façon «assez bien» se transpose-t-il dans des tâches quotidiennes, la gestion des équipes, et les relations avec les gens? Quelles sont les différences, pour un dirigeant, d’envisager de gérer des équipes dans un esprit «assez bien»? Quel effet cela a-t-il sur les membres d’une équipe, et leurs collaborateurs?

Simplement se dire que l’on adopte l’«assez bien» ne serait pas assez bien... Je n’affirme pas cela dans un souci de perfection, mais plutôt en gardant à l’esprit qu’une transformation organisationnelle pourrait s’articuler en considérant la nature de l’initiative de transformation, l’écologie de la transformation, le processus de transformation, ainsi que les résultats de la transformation et leur évaluation.

Il faudrait pouvoir prendre quelque recul pour observer les modèles en place, définir quels sont ces modèles, définir de nouveaux modèles, évaluer quels sont les individus verrouillés dans les modèles désuets, et tabler sur la diversité, en introduisant graduellement dans les équipes des individus qui correspondent aux nouveaux modèles.

Je suis préoccupée par le caractère non stratégique et la difficulté de vaincre l’inertie permettant la transformation. Il faudrait veiller à ce que les comportements dans l’organisation soient moins orientés vers un souci d’efficacité mais affichent plutôt ce qui est légitime. Il faut faire également attention à ce que le succès et l’innovation ne deviennent des parures de diverses formes d’acquiescement, par habitude, imitation et conformité.

Ne pas perdre de vue que le phénomène de la transformation organisationnelle est indépendant du degré d’innovation technologique ou fonctionnelle du système d’information déboucherait sur un questionnement: sous quelles conditions l’initiative technique peut être considérée comme un mécanisme de transformation?

1 commentaire:

N.Beauregard a dit...

Se permettre d'être "assez bien" pour une organisation gouvernementale signifie prendre la responsabilité de ce que l'on fait. Dans notre système actuel d'imputabilité, c'est le ministre qui est imputable de tout, ce qui déresponsabilise tout l'appareil administratif. Les gestionnaires, du plus bas au plus haut niveau, hésitent à prendre la décision de dévoiler une action qui serait juste "assez bien" de crainte que le ministre ne soit pas d'accord avec cette évaluation. Une culture du "assez bien" est une culture où l'on remet les responsabilités aux personnes qui occupent le niveau de gestion adéquat pour poser le geste.

Les systèmes démocratiques reposent sur la séparation des pouvoirs politiques, administratifs et juridiques. Malheureusement, le principe de séparation entre le politique et l'administratif est incompris et appliqué au bon gré des interlocuteurs (ce qui est un contre sens). Quand les hauts fonctionnaires et gestionnaires viendront défendre leurs décisions administratives en public (sur le web), verront les attentes qui leur a été clairement signifiées par leur supérieure (et les politiciens) et leur évaluation de rendement rendue publique, ces personnes pourront justifier leur décision d'avoir fait "assez bien" avec les ressources mises à leur disposition et dans les circonstances qu'ils auront eues à affronter. Les électeurs, contribuables et citoyens seront-ils alors capables de distinguer la responsabilité des uns et des autres?

Une culture du "assez bien" c'est un changement fondamental de culture. Lors d'une conférence sur la gestion paradoxale (management de l'ordre et du chaos), monsieur Olivier Zara a affirmé (et j'endosse) que "parler de changement de culture, c’est mettre un pied dans la tombe à tout projet de changement vers l’intelligence collective".

 
TwitterCounter for @Lyne_Robichaud