Blogue de Lyne Robichaud

11 mars 2009

Il est temps de modifier les directives adressées au grand public

[George Bernard, bijoutier à Laval, ne manque pas de travail lors du changement d'heure. Photo Luc Laforce]

Ce dimanche 8 mars, toute l'Amérique du Nord a changé d’heure. Nous sommes passés à l’heure avancée, ou heure d'été.

Il serait temps pour les nations du monde de passer à des recommandations avancées. En quelque sorte, d'ajuster nos pendules à l'heure de la pandémie.

Voici comment j’entrevois la situation actuelle.

En novembre dernier, David Nabarro a annoncé qu’il évaluait que l’état de préparation mondial était d’environ 40%. Il a expliqué qu’il basait cette évaluation sur le 35% des nations ayant commencé à tester leurs plans de lutte à une pandémie.

Le mot d’ordre était donné pour encourager les nations à mettre à l’épreuve leurs stratégies de pandémie. Le Quatrième Rapport intérimaire mondial sur la grippe aviaire, publié à la mi-octobre 2008 par l'équipe de David Nabarro, indique à ce sujet: «Il importe maintenant de consolider les réalisations en matière de préparation à la pandémie et de veiller au caractère opérationnel des plans en en faisant la promotion, en les approuvant, en les mettant à l'épreuve et en les examinant systématiquement à l'aide des leçons apprises ainsi qu'en les incorporant aux structures de gestion des catastrophes.» (Synopsis, paragraphe 20)

Ces derniers mois, la crise économique mondiale a accaparé beaucoup d’attention médiatique.

Mais malgré un contexte économique menaçant, quelques nations continuent de peaufiner leurs préparatifs en vue d’une pandémie.

Dernièrement, nous avons entendu parler de simulations de pandémie effectuées au Japon, en lien avec les transports en commun (voir Japan: Social Distancing Test On Commuter Trains). Les Japonais ont tiré des plans pour tenter de trouver des méthodes qui permettraient d’appliquer une règle de 2 mètres de distanciation sociale. Cela a conduit à des révisions de stratégies pour les grands centres urbains, tel que Tokyo, où il a été établi que si seulement 40% de la population se déplaçait et sortait de leur résidence, alors il serait peut-être possible de contrôler le niveau d’infection occasionné par une pandémie. Les Japonais ont évalué que tout pourcentage de population au-dessus de 40% se déplaçant dans des endroits publics occasionnerait un échec de gestion de la part des autorités de ce pays.

Ces conclusions sont intéressantes, et influenceront probablement d’autres nations ayant sur leur territoire des centres urbains à forte densité humaine.

Comme Paris, par exemple, la ville-lumière de la France.

Les mesures pharmaceutiques, en raison du présent contexte économique difficile, et d’autres facteurs exceptionnels (tels que la résistance aux antiviraux et le nombre d'années qu'il faudra pour fabriquer un vaccin de souche pandémique), se dirigent vers une sorte de cul-de-sac. De nombreux plans de lutte ont beaucoup misé sur les mesures pharmaceutiques.

Époque oblige, un changement de stratégie s’impose.

Une autre solution aurait été de renforcer l’infrastructure du système de santé publique. Mais cela s’avère une tâche titanesque, qui exigerait nécessairement des sommes astronomiques, en plus d’un leadership considérable. Le contexte économique actuel n’est pas favorable à cette avenue. Nous assistons plutôt à des annonces de déficits et à des coupures, qui auront pour effet de fragiliser l’infrastructure du système de santé. Revere (d'Effect Measure) a écrit à propos de maintenir l'accent sur la santé publique:
"Nous l'avons dit souvent, mais cela ne peut pas être déclaré trop souvent: si vous voulez vous préparer à une pandémie d'influenza -- ou à n'importe quel choc aigu à un système quelconque -- la meilleure chose à faire est de renforcer le système de santé publique et les services d'infrastructure sociale. Acheter et stocker des vaccins et des antiviraux pourrait -- ou ne pourrait pas -- fonctionner pour l'influenza. Mais un système de santé publique robuste et un système de service social, par contre, cela marcherait pour tout le monde, incluant en période de récession prononcée."

Restent alors les mesures non pharmaceutiques telles que la distanciation sociale et des réserves personnelles en approvisionnement, et l'orchestration d'une participation active de la population. En d’autres mots, l’implantation de réels préparatifs pandémiques sociaux. L’époque où des États se contentaient de créer l’illusion d’un pandémisme de façade est révolue. Les nations qui veulent s’en sortir devront changer leur fusil d’épaule.

Plusieurs éléments jouent en la faveur du développement de mesures non pharmaceutiques:

> leur coût moins élevé (comparativement à des achats coûteux de produits pharmaceutiques);

> le fait que les médias sociaux ont atteint un point de basculement;

> le risque de pandémie, qui augmente en raison d’un relâchement de la surveillance des maladies, occasionné par des coupures aux budgets de pandémies des nations du monde.


C’est dans ce contexte qu’a eu lieu cette semaine une simulation de pandémie dans un supermarché de la région de Lyon, en France.
"Le scénario est simple: 8h30, le magasin n'est pas encore ouvert, que déjà, dehors, près 200 personnes attendent. Les portes coulissent et immédiatement, c'est la ruée. Remplir son chariot devient alors un exercice de haute voltige. Eau, pâtes, riz, farine, huile... les produits de première nécessité sont les plus recherchés. Au bout de quelques minutes à peine certaines denrées sont déjà en rupture de stock.

Très vite, l'exercice montre que, dans un tel contexte, les comportements individualistes prennent le dessus. Les réactions du personnel sont alors fondamentales, d'autant, qu'en raison de la pandémie, l'équipe est sensiblement réduite." (M6Info.fr)


"Le camion vient à peine de se garer à l'arrière du supermarché qu'il est pris d'assaut par une horde de clients portant des masques blancs. Hier, à l'Intermarché de Grigny, le réapprovisionnement du magasin en denrées de première nécessité a failli tourner au cauchemar. «Quand j'ai vu les gens se ruer dessus, j'ai préféré tout mettre en réserve plutôt que déclencher une émeute. Le jour où il y aura une vraie crise, on devra fermer le point de vente pendant la livraison», raconte, épuisé, Christophe Dejob, le PDG de l'Intermarché. Durant 48 heures, son magasin a été le théâtre d'une simulation de pandémie de grippe aviaire organisée par l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact).

«Il s'agissait de voir comment une entreprise peut maintenir son activité alors qu'une partie du personnel est malade, que les fournisseurs peinent à approvisionner et que les clients veulent faire le plein de pâtes, d'eau ou de lait pour enfants», explique Jack Bernon, responsable du département santé et travail à l'Anact. Une centaine de figurants, masques sanitaires sur le visage, ont ainsi joué dimanche et hier les clients furieux et angoissés, face à un personnel en sous-effectif pour tester le «plan de continuité d'activité» du magasin. «Il a fallu dès le matin former en 30 minutes des hôtesses de caisse», explique Christophe Dejob, confronté au casse-tête des consignes sanitaires en cas de pandémie. Il est recommandé de se tenir à au moins 2 m de toutes personnes. C'est difficile au moment de payer ses achats. Autant fermer le magasin.» L'intégralité de l'exercice a été filmée et fera l'objet d'une diffusion en DVD auprès des entreprises de la distribution." (20Minutes.fr)

Allumez vos lampions, car cet événement est d’une importance capitale dans l’avancement des préparatifs pandémiques sociaux. Les espérances que cet événement débouche sur de l’innovation sont élevées.

Je considère qu’il s’agit d’un point de basculement mondial, qui pourrait entraîner de nouvelles stratégies.

Les nations avec suffisamment de bon sens pour intégrer l’apprentissage issu de tests et de simulations de pandémie, sont celles ayant les plus grandes chances de voir progresser leurs mesures d’urgences et, par conséquent, de probablement mieux s’en tirer que d’autres, lors de l’avènement d’une pandémie.

Il y a quelque temps, la République française a aligné ses recommandations de stockage individuel de vivres et de biens essentiels sur celles des États-Unis, en incitant ses citoyens à prévoir pour deux semaines d’approvisionnement.

L’exercice de simulation de cette semaine ayant eu lieu en sol Français était unique en son genre. À ma connaissance, il s’agissait d’une première.

Nous avons entendu quelques avertissements à propos des dommages collatéraux, surtout de la part du Dr Michael Osterholm, le directeur du CIDRAP (des États-Unis).
"Je crois que la prochaine pandémie de grippe, même de nature la plus modérée, serait l'un des événements les plus catastrophiques de santé publique de notre histoire. J'arrive à cette conclusion en raison de: l'envergure de la population mondiale actuelle (approximativement 6,5 milliards, comparée à 1,2 milliards en 1918), la probabilité d'un manque de réserve de vaccins efficaces au début de la pandémie, et l'existence de l'économie "juste-à-temps" (just-in-time), qui signifie que nous épuiserons la plupart des produits et services essentiels, comme les médicaments et les vaccins, d'autres fournitures médicales, et même la nourriture, dès les premiers jours de la pandémie." ('Little evidence for New York City quarantine in 1918 pandemic', CIDRAP News, 27 novembre 2007)

Il y a par ailleurs eu une excellente étude réalisée par des chercheurs de l’Université de Sydney intitulé 'A food "lifeboat': food and nutrition considerations in the event of a pandemic or other catastrophe’ (Bouée de sauvetage de vivres), où il a été expliqué pourquoi les vivres viendraient à manquer dès les premières semaines d’une pandémie. Cette étude avertissait également que si les citoyens attendaient à la dernière minute pour se constituer une réserve d’approvisionnement, il n’y aurait pas suffisamment de denrées disponibles en Océanie pour suffire aux besoins de la population.

Il y a eu également d’excellents textes publiés dans le site GetPandemicReady, soutenu par le comté de Nez Perce en Idaho, aux États-Unis. Le collectif de citoyens ayant créé GetPandemicReady a argumenté en faveur de trois mois de réserve personnelle en approvisionnement.

Bien que de plus en plus de gens aient pris conscience ces derniers mois de la nécessité et de l’utilité d’une réserve individuelle considérable, il ne s’est pas encore manifesté de volonté politique de la part d’aucune nation, conduisant à des modifications de recommandations officielles de la part des nations les plus avancées dans ce domaine.

Mais l’exercice de simulation de pandémie dans un supermarché lyonnais qui a eu lieu cette semaine pourrait s’avérer le catalyseur d’une nouvelle approche de la part des stratèges de la République française.

Oseront-ils se positionner comme la toute première nation à recommander aux citoyens d’avoir pour de nombreuses semaines d’approvisionnement dans son garde-manger?

Tôt ou tard, quelqu’un va devoir se décider à avertir la population du réel danger, et des conséquences très probables qu’une pandémie aura sur l’existence des citoyens.

Non seulement les autorités gouvernementales sont-elles en très mauvaise posture pour assurer que des soins de santé aient lieu en temps de pandémie, il est évident qu’aucun gouvernement ne sera en mesure de nourrir une population entière, advenant des ruptures prolongées au système juste-à-temps d’approvisionnement.

Je considère que les autorités gouvernementales sont au pied du mur: elles doivent trouver au plus vite des moyens pour atteindre un état avancé de préparation pandémique sociale. Le défi est colossal, et l’atteinte de l’objectif ne se fera pas du jour au lendemain. Des efforts considérables devront être déployés. C’est dès maintenant que les gouvernements devraient s’atteler au défi de développer et d’implanter des préparatifs pandémiques sociaux.

Les nations qui échoueront dans cette tâche risqueront de disparaître, anéanties sous le fardeau du chaos social, de la famine, d’un nombre élevé de victimes, et de la faillite économique.

Des choses relativement simples, comme dire la vérité, expliquer clairement les enjeux, et répéter, tel un perroquet ou un gramophone, des directives réalistes aux populations, pourraient faire une différence, dans la gueule d’une pandémie mortelle.

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