Jusqu’à présent, nous ne pouvons pas dire que société civile a été impliquée très activement dans l’effort de préparation en vue d’une pandémie.
Donc, pour que des préparatifs sociaux aient lieu, il faudrait que de nouvelles stratégies soient établies et que de nouveaux plans d’action et de communication soient déployés.
Le Rapport de David Nabarro a été dévoilé à la mi-octobre 2008. Mais aucune directive aux nations, détaillant de manière plus précise comment celles-ci pourraient s’y prendre pour développer des préparatifs sociaux, n’a encore (à ma connaissance) été publiée.
Dans ce cas, les nations sont libres d’innover et de faire comme bon leur semblera et du mieux qu’elles pourront pour atteindre l'objectif d'état de préparation sociale fixé il y a cinq mois par l’ONU et la Banque mondiale. Quelques semaines après la publication de son Rapport, David Nabarro a indiqué qu'il évaluait que l'état de préparation mondial (des nations) était d'environ 40 pour cent. Il a indiqué qu'il souhaitait que l'état de préparation augmente à 60, voire 70 pour cent d'ici 2010. Ce chiffre - mettons 60% - s'il s'agit d'un niveau souhaitable pour les préparatifs pandémiques des gouvernements, alors je pense que nous pourrions en souhaiter autant pour les préparatifs sociaux.
Comment s’y prendre pour atteindre 60% d'état de préparation de la société civile? Est-ce faisable?
Je pense que oui. Mais cela ne se fera pas par enchantement.
Commençons d’abord par évaluer de quelle manière les autorités gouvernementales ont entrevu la question jusqu'à présent.
Le sociologue Michel Setbon résume bien la problématique de la perception du rôle du citoyen par les autorités au journaliste Jean-Yves Nau du Monde, «J'estime que l'erreur des pouvoirs publics réside dans leur croyance récurrente selon laquelle la population va être l'objet passif des mesures décidées, alors même qu'elle en sera le sujet, c'est-à-dire l'acteur central et imprévisible. C'est un décalage conceptuel qui est loin d'être anecdotique.»
Donc si les citoyens sont perçus comme des «objets passifs» par les autorités, il est difficilement imaginable qu'il puisse être possible que 60% de ces «objets passifs» arrivent à un jour à se préparer (passivement) en vue d'une pandémie.
J’ai noté sur Facebook cette semaine des commentaires allant dans ce sens, de Michel S.f. Vermeulen, qui a été très franc dans sa réponse à un article intitulé «À propos de la grippe aviaire» publié par Thierry Saussez, délégué interministériel à la Communication et directeur du Service d’information du gouvernement de la République française. Concernant le Guide pratique de la vie quotidienne en pandémie, il a indiqué: «Une magnifique initiative d'information de la population, permettant d'éviter la panique, rendant inopérante toute planification. (…) La population sera rendue active et solidaire, en n'étant pas un spectateur passif et victime d'une calamité, mais un acteur conscient de son rôle participatif avec les intervenants professionnels.»
S’il ne s’agit pas d’une erreur (l’emploi du mot «inopérante»), alors j’interprète les commentaires du médecin et blogueur belge Michel Vermeulen comme allant dans le sens de ceux du sociologue français Michel Setbon.
Alors que Michel Setbon parle «d’acteur imprévisible», Michel Vermeulen envisage plutôt un «acteur conscient de son rôle participatif.»
Je pense que Michel Vermeulen vient de mettre le doigt sur l’élément clé d’une stratégie de préparatifs pandémiques sociaux (qui aurait des chances de conduire à la mitigation de sociétés). Mais ce sentier - non battu - sera-t-il emprunté par des instances gouvernementales?
La conjoncture mondiale actuelle m’apparaît comme un terrain mûr pour qu’aient lieu des préparatifs pandémiques (dans certaines nations qui oseront les développer).
Nous avons pu observer de timides tentatives de rapprochement de hauts gestionnaires gouvernementaux avec des membres de la communauté de pratique flublogienne. Au cours du mois de février 2009, Craig Vanderwagen (États-Unis) et Thierry Saussez (France), ont publié des éléments de réflexion et d'information sur Facebook. Il y a par ailleurs eu beaucoup de travail effectué ces dernières semaines par les agences américaines pour diffuser en simultané de l'information sur les préparatifs d'urgence (pas uniquement de pandémie) via des outils de réseautage social.
Mais, entendons-nous. Nous sommes encore TRÈS LOIN du but.
Les hauts gestionnaires vont devoir transformer radicalement leur approche, s’ils souhaitent atteindre un état de préparation social significatif, c'est-à-dire le 60-70% mentionné par David Nabarro.
Actuellement, très peu de citoyens ont entrepris des préparatifs individuels SPÉCIFIQUEMENT en vue d'une pandémie. En raison du phénomène connu sous le nom de «flu fatigue», j’évalue que cela doit être de l’ordre de moins d’un pour cent de la population. Ma conception d'une préparation individuelle inclut une réserve de TROIS MOIS de nourriture, eau, médicaments, et biens essentiels tel que recommandé par GetPandemicReady - soutenu par le comté Nez Perce en Idaho aux États-Unis (avec en périphérie, une panoplie d'autres éléments à préparer). Donc je pense qu'il est réaliste d'évaluer que moins d'un pour cent de la population a effectué cela. Pour traverser une pandémie sans trop sombrer dans le chaos social, l’état de préparation social devrait à mon avis atteindre un minimum de 50% de la population. Vu que seulement environ 10% des citoyens répondent présentement à des directives de préparatifs pandémiques (comme ce fut notamment le cas en Suisse, où 1 citoyen sur 10 s’est procuré les masques recommandés), il va donc falloir déployer ÉNERGIE ET MOBILISATION CONSIDÉRABLES afin de préparer la société civile.
J’ai de gros doutes sur les actuelles capacités des nations à déployer des préparatifs pandémiques sociaux.
Pour qu’une importante préparation sociale ait lieu, il va falloir démontrer davantage de leadership, transparence, volonté, et courage.
La clé du succès passe par l’innovation.
Et pour ce faire, il ne faudra pas avoir froid aux yeux.
J’ai découvert il y a quelques mois le site Harvard Business Publishing. La section intitulée ‘The Big Shift’ est gérée par John Hagel III, John Seely Brown et Lang Davison, des auteurs connus ayant publié plusieurs ouvrages. Lang Davison est entre autres l’ancien éditeur en chef de la fameuse publication McKinsey Quarterly (dont j’ai parlé dernièrement de leur article considéré par plusieurs comme un point de basculement. Voir mon billet «6 éléments de gestion Web 2.0 qui ont du succès, d’après McKinsley»).
Hier, les 3 éditeurs de Big Shift ont publié un article portant sur l’innovation institutionnelle. Je vous en souligne des extraits ici, car je pense qu’il y a là matière à réflexion, et que ces éléments devraient être considérés par les gestionnaires de préparatifs pandémiques.
Cet article de Big Shift porte sur la différence entre les ‘push-based organizations’ (axées sur le contrôle) et les ‘pull-based organizations’ (axées sur le partage des forces).
«Le passé appartient aux institutions 'push' (pousser), mais le futur appartient aux institutions 'pull' (tirer).
Une véritable ‘pull-based organization’ reste encore à être vue en nature.
Notez qu’un basculement de dispositions s’avère nécessaire, alors que nous progressons d’institutions ‘push’ à ‘pull’. Les institutions ‘push’ sont typiquement centralisées, bureaucratiques, et en mode commande-et-contrôle, et les dispositions qui prévalent parmi leurs dirigeants sont les mêmes: ceux-ci tiennent solidement les rennes de la propriété intellectuelle (ce qui se traduit par mettre la foi dans les actions plutôt que dans les flux de connaissances). Ces institutions approchent la collaboration avec prudence, et uniquement avec une poignée de partenaires sélectionnés soigneusement, partageant les mêmes dispositions.
Les institutions ‘pull’, en revanche, tendent vers la décentralisation, le modulaire et les liens détendus de collaboration, ainsi que vers ce qui est émergent. Les dispositions qui prévalent penchent davantage vers la collaboration que vers le contrôle. Les dirigeants orientés en mode ‘pull’ reconnaissent que la puissance des formes de collaboration sont très évolutives, et ils mobilisent un grand nombre de participants offrant diverses spécialisations poussées.
Les institutions ‘pull’ investissent MASSIVEMENT dans l’accès aux talents, peut importe où celui-ci réside, et dans la construction de relations pour motiver ce talent. Ces «talents distribués», soutiennent par la suite les initiatives de l’organisation, indépendamment de savoir s’ils choisissent de s’affilier officiellement à l’institution. [Un bon exemple de cela: le succès des stratégies de mouvements sociaux de Marshall Ganz de la campagne de Barack Obama. Voir mon billet à ce sujet.]
Il est évident que nos institutions existantes, solidement ancrées dans le monde en mode ‘push’, devront considérablement se redéfinir de vue d’exploiter de manière efficace le potentiel du mode ‘pull’. L’innovation institutionnelle – la refonte des rôles, des relations et des structures de gouvernance nécessaires pour amener les participants vers des efforts de production – sera une condition essentielle.
Les institutions ‘pull’ auront besoin de complètement se réorienter en ce qui concerne le talent, alors que nous ré-imaginons les corporations et les autres institutions comme des lieux où des individus talentueux expérimenteront, apprendront, performeront, et prospéreront.
Ceci exigera de profonds changements de stratégie, d’organisation, d’opérations, et de technologie.»
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