Blogue de Lyne Robichaud

03 mars 2009

Une communauté est totalement dépendante des marginaux ou innovateurs

Mark Granovetter

Sans la marginalisation ou l'innovation, n’importe quelle communauté n’a aucune possibilité pour l'organisation ou à la régénération, d’après Mark Granovetter, un sociologue américain.

Ceci a des conséquences décisives.

En appliquant cette théorie au contexte des préparatifs pandémiques, il devient possible de comprendre à quel point la communauté de pratique flublogienne joue un rôle déterminant dans l’implantation de préparatifs en vue d’une pandémie.

Supprimez la communauté de pratique flublogienne, et vous éliminez du même coup l’espérance que de réels préparatifs pandémiques sociaux voient le jour.

Par contre, soutenez et favorisez les actions de la communauté de pratique flublogienne, et vos probabilités que l’organisation et la régénération en vue d’une pandémie aient lieu, augmentent de beaucoup.

Mark Granovetter est considéré comme l'un des principaux représentants de la sociologie des réseaux sociaux et l’un des principaux acteurs du renouveau de la sociologie économique. Il est professeur de sociologie à l'Université Stanford. L'un de ses apports les plus connus à la recherche est sa théorie de la diffusion de l’information dans une communauté, connue sous le nom de la «force des liens faibles» (Strength of weak ties, 1973).

Nous avons souvent entendu parler de liens faibles de la part de gestionnaires de pandémie, mais ces liens étaient généralement perçus comme nuisant à l’ensemble des préparatifs pandémiques. Par exemple, l’ex-directrice du CDC américain, Julia Gerberding, a dit en 2006: «Nous sommes seulement aussi forts que notre lien le plus faible.» Le blogueur américain Michael P. Coston a rédigé un billet en avril 2008 intitulé «Le maillon le plus faible» [The Weakest Link].

Toutefois, dans un contexte de réseaux sociaux, les liens faibles sont positifs.

C'est ce que j'ai appris, grâce à l'ami Joseph Thornley (chef de la direction de Thornley Fallis), qui a publié un lien dans Facebook pointant sur un billet de Gavin Heaton, un stratège en développement des affaires de la région de Sydney en Australie. Son blogue s’intitule Servants of Chaos. Gavin Heaton cite dans son billet un article de Mark Granovetter, qui ne date pas d’hier. Celui-ci a été publié il y a 36 ans dans l’American Journal of Sociology (vol 78, édition 6). La théorie concoctée par ce sociologue s’enfile comme un gant au contexte actuel des médias sociaux.

Mark Granovetter a souligné le fait que dans un réseau social, les liens les plus faibles s’avèrent les plus puissants en termes de diffusion de l’information. Nous pourrions être portés à penser l’inverse, que ce sont les liens les plus forts qui sont les plus importants. Granovetter explique que non.

Voici un extrait du billet de Gavin Heaton:
Les premiers adopteurs et les adopteurs précoces
«L’article souligne la différence entre les premiers adopteurs [first adopters] et les adopteurs précoces [early adopters]. Les premiers adopteurs sont des innovateurs. Ils sont marginaux, isolés, avec de très petits réseaux sociaux. Une des caractéristiques de ces innovateurs est qu’ils ont des relations en tête-à-tête ou des ponts avec plusieurs personnes qui font partie de groupes à portée de main [at arm's length]. Il est également important de noter que le pont consiste uniquement en un «lien faible».

Les adopteurs précoces, en comparaison, ont la «réputation» de protéger. Ils ne sont pas des innovateurs, mais ils se situent près d’eux. Ceci signifie que pour qu’une idée se propage à travers un réseau social, il doit exister un lien faible entre le premier adopteur et l’adopteur précoce. Les premiers adopteurs les plus efficaces sont ceux qui possèdent un certain nombre de ponts entre eux-mêmes et d’autres réseaux:
«Intuitivement, ceci signifie que ce qui est diffusé peut toucher un plus grand nombre de personnes, et parcourir une plus grande distance sociale, lorsque l’information passe par un lien faible plutôt que par un lien solide.» (page 1366)

Les liens faibles stimulent l’action
L'un des résultats surprenants de cette analyse est le lien entre la faiblesse des liens et de l'action:
«Des études sociales et de communication de masse ont démontré que les personnes agissent rarement en fonction d’information émanant de médias de masse, à moins que l’information ne soit également transmise par l’entremise d’un lien personnel.» (page 1374)

La communauté est ABSOLUMENT dépendante de la marginalisation
Mais sans doute que l’élément le plus important est le besoin absolu de l’aliénation et de la marginalisation au sein d’une communauté. Encore une fois, ceci pourrait paraître contre le bon sens, mais l’analyse - et plus important encore, les tests - le prouvent. Sans les marginalisés ou les innovateurs, n’importe quelle communauté n’a aucune possibilité pour l’organisation ou la régénération:
«Des liens solides, favorisant une cohésion locale, conduisent à une fragmentation globale.» (page 1378) Et si vous y pensez bien, cela a du sens. Ce serait comme avoir un petit bassin de gènes CONVERSATIONNELS: vous avez besoin de nouvelles idées, sinon vous finirez toujours par parler de la même chose, encore et encore.»

D’un point de vue marketing, les premiers adopteurs sont toujours en avance d’une mode. En les observant vivre, il est possible de voir émerger les tendances de demain. Ces personnes sont de formidables boîtes à idées, qui peuvent aider à élaborer, modifier ou valider des éléments de marketing avant un lancement de nouveau produit. Les premiers adopteurs forment un public très averti et même un peu cynique, ce qui est idéal pour tester une stratégie. Ces gens influencent directement les jeunes et les moins jeunes.

D’après l'étude intitulée Leadership d’opinion et communautés virtuelles: un état de l’art, de Younss Fejlaoui, du Centre de recherche en gestion, Institut d’administration des entreprises, Université des sciences sociales de Toulouse, en France, l’intégration du concept de leader d’opinion dans les stratégies marketing et de communication constitue le moyen incontournable d'approche des communautés virtuelles, qui s’avèrent être une nouvelle forme de communication avec un incontestable contre-pouvoir viral. Les décideurs marketing NE DOIVENT EN AUCUN CAS LES DÉLAISSER. Ils doivent également tout faire pour mettre en œuvre des stratégies de communications qui leur seront adaptées.

Cette étude indique que des chercheurs ont fourni la confirmation que l’information diffusée par bouche-à-oreille aurait un impact plus grand sur la décision [d’achat – dans un contexte marketing] que les autres sources d’information classiques, comme la publicité (Urbany et al. 1989).

Dans l’hypothèse qu’un gouvernement souhaiterait communiquer des messages à sa population lors d’une situation donnée, mettons une pandémie, si on applique les résultats de recherche d’Urbany et al. au contexte de crise pandémique, il se pourrait donc que des communautés virtuelles telles que la communauté de pratique flublogienne puisse être efficace, étant donné que l’information diffusée par bouche-à-oreille pourrait avoir un impact plus grand sur les comportements des citoyens que les messages de nature gouvernementale.

Younss Fejlaoui indique que Tsang et Zhou (2005) suggèrent, comme étape préliminaire pour entrer en contact avec les communautés virtuelles, une recherche de permission des participants leaders d’opinion afin de les contacter, dans le but de leur fournir des informations en avant-première et de leur proposer des articles promotionnels exclusifs.

L’étape suivante est celle qui permet de forger une relation à long terme avec les leaders d’opinion au sein de ces communautés, en les invitant à être des membres d’honneur dans leurs panels, ou des bêta-testeurs des nouveaux produits (ou dans notre cas, des politiques et des mesures d’urgence).

Dans le contexte de préparatifs pandémiques, les États-Unis ont intégré les principaux membres de la sphère du Flublogia dans les nombreux comités de travail.

Le gouvernement du Québec, quant à lui, a refusé de collaborer avec des membres de la sphère du Flublogia. Ce qui s'avère ne pas être une stratégie gagnante.

Tsang et Zhou (2005) avancent également que si ces stratégies sont menées correctement, les leaders d’opinion peuvent se transformer et devenir des transporteurs d’une information positive, et par conséquent, influencer les autres consommateurs [dans notre cas, les autres citoyens] composant la communauté.

En se basant sur la théorie de la «force des liens faibles» de Mark Granovetter, et les conclusions d’Urbany et al. ainsi que de Tsang et Zhou, les gouvernements qui souhaitent agir avec efficacité dans le domaine des préparatifs pandémiques, devraient soutenir et encourager les activités des membres - marginaux et innovateurs - de la communauté de pratique flublogienne.

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