Blogue de Lyne Robichaud

15 février 2009

Les multiples dangers des dominos économiques menacent les préparatifs pandémiques


Vendredi 13 (pour les superstitueux), l’éditeur de CIDRAP News, Robert Ross, a signé un article à propos du plan de relance économique américain allégé de l’enveloppe budgétaire dédiée aux préparatifs pandémiques de près d'un milliard de dollars. Robert Ross a conclu: «Il semblerait que le Congrès américain ferme les yeux sur les préparatifs de santé publique aux niveaux d’état et local

Pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas la petite histoire, la somme de 870 millions de dollars a été retirée du plan de relance économique. Le blogeur DemFromCT a résumé la situation dans ce billet.

Samedi 14 février (c’était le jour de la Saint-Valentin), Craig Vanderwagen, l’assistant du ministre de la Santé américain chargé des préparatifs de mesures d’urgence, a rédigé une note dans Facebook à propos de l’enveloppe budgétaire des préparatifs pandémiques du plan de relance économique américain. Il a indiqué: «Nous espérons que le Congrès américain tiendra compte de ces crédits dans l’enveloppe budgétaire régulière du ministère de la Santé et des Services sociaux (HHS), où ces sommes ont été soumises sous forme de modification [amendement] en août 2008, et qui sont actuellement à l’étude.»


Cette situation me fait penser à la campagne de communications à propos du secret de la Caramilk, ou encore au secret de l’énigmatique sourire de la Joconde de Léonard de Vinci. Tout le monde se demande ce que cela signifie. C’est un peu la même chose avec l’enveloppe budgétaire dédiée aux préparatifs pandémiques. On ne sait pas trop ce qu’il en est, et les préoccupations à propos de ces sommes d’argent sont élevées. On se demande entre autres si ces sommes ont été flushées pour de bon, ou si elles se matérialiseront via une autre enveloppe budgétaire quelconque.

Plusieurs s’inquiètent que l’effet ciseau se transforme en effet domino mondial. Alors que la crise financière mondiale se métamorphose en une récession mondiale, les décideurs sont confrontés avec de graves décisions. Tous les yeux sont désormais tournés vers les États-Unis. Je suis persuadée que ce qu’il se passera au cours des prochaines semaines (c’est-à-dire la manière dont ces questions seront gérées) aura un impact considérable sur le maintien (ou non) des budgets de préparation de pandémie de diverses nations à travers le monde.

«C’est cela», m'a répondu en français Craig Vanderwagen sur Facebook.

Il y a lieu de noter cette réponse, car bien qu’elle ne comporte que deux mots, ces deux mots-là veulent dire beaucoup.

Un article signé par Didier Heinderich (dans le Magazine de la communication de crise et sensible), intitulé «La crise entre risques et opportunités dans un monde en devenir» a retenu mon attention, et j’ai noté certains passages. Cet article commence par une citation d’Albert Camus, qui fouette comme une gifle:
« Nous sommes dans les nœuds de la violence et nous y étouffons. Que ce soit à l’intérieur des nations ou dans le monde, la méfiance, le ressentiment, la cupidité, la course à la puissance sont en train de fabriquer un univers sombre et désespéré où chaque homme se trouve obligé de vivre dans le présent, le mot seul d’«avenir» lui figurant toutes les angoisses, livré à des puissances abstraites, décharné et abruti par une vie précipitée, séparé des vérités naturelles, des loisirs sages et du simple bonheur.» [Albert Camus, La crise de l’homme, le 28 mars 1946]

Didier Heinderich décrit ensuite les dangers de la crise économique mondiale. Mais puisque tout est interdépendant, les bouleversements sociétaires qui nous affectent présentement auront un impact sur l’état de préparation du monde entier face à une pandémie. De sa plume distinguée, Didier Heinderich nous avertit à propos de plusieurs éléments concernant la crise actuelle:
Perte de confiance envers l’État et la politique
«La perte de confiance peut se révéler dangereuse à l’heure où l’intervention des États est indispensable dans la gestion de la crise, dans la régulation et le rétablissement de la confiance. La vitalité de la démocratie et des oppositions est également plus que nécessaire afin d’éviter les dérives des gouvernements acculés, dos au mur, face aux multiples attentes.

Perte de sens
À force de communication non suivi d’effet, à force de marier habilement les mots pour faire résonner chaque intervention comme autant de slogans, à force de raccourcis, à force d’indignations feintes, à force d’amalgames réalisés pour brouiller les repères et à force de storytelling alibis, les mots sont titrisés par autant de hedges funds de la communication qui misent exclusivement sur le court terme. Chaque idée véritablement nouvelle qui prend corps dans la société, à l’image du développement durable, est rapidement pervertie par la communication qui s’en empare pour la gadgétiser. Il en résulte une perte de sens et de repères jusqu’au discrédit de toute parole. Pire, toute communication responsable, pédagogique, utile à la gestion de crise se veut insipide pour l’individu hypermoderne abonné au zapping, à la communication-produit-de-loisirs dans une société que l’analyse et le doute ennuient, dans une société prête à sacrifier les intellectuels pour mieux dissimuler ses turpitudes.

Autoritarisme et repli sur soi
Le danger n’est pas uniquement économique et peut être également démocratique: les périodes de crise sont souvent propices à un autoritarisme exacerbé, réponse simpliste mais électoralement efficace. Le moindre fait divers, les manifestations contre des licenciements, l’hostilité à l’encontre de mesures draconiennes, les violences liées au désespoir peuvent devenir autant de prétextes à la promulgation de lois d’exception tout comme à la fermeture et au contrôle des frontières dans de nombreux pays. Le pire est que l’autoritarisme a généralement pour effet d’amplifier les crises tout en étant applaudi par une large part de populations en quête de boucs émissaires.»

En plus de l’effet domino pouvant jouer directement sur les budgets d’opération des nations, qui pourraient être tentées d'effectuer des coupures drastiques dans les préparatifs pandémiques, s’ajoutent donc aussi les préoccupations décrites par Didier Heinderich.

Je ne connais pas les circonstances qui ont poussé les Américains à inclure l’enveloppe budgétaire substantielle de quelque 900 millions de dollars dédiée aux préparatifs pandémiques dans le plan de relance économique. Mais la résultante, je la constate: elle est désastreuse. Je pense que les autorités américaines vont devoir concocter une monumentale stratégie politique et de relations publiques afin d'arriver à renverser le message négatif qui a été envoyé par le Congrès américain ces derniers jours au monde entier, à propos de l'idée et de la nécessité de se préparer à une pandémie d'influenza. Rappelez-vous la conclusion de Robert Ross.

Les prochaines semaines seront donc cruciales. Car la gaffe du plan de relance économique met en péril la totalité des préparatifs pandémiques effectués à ce jour. Si les budgets de pandémie se tarissent de par le monde, les défenses de l’Humanité vont tomber, au moment même où le virus H5N1 est en train de gagner la partie dans la bataille féroce que les humains lui ont livré depuis des années. Voir à ce sujet un troublant (et long) billet de Scott McPherson.

«Dire la vérité même si ça coûte, surtout si ça coûte,» disait le fondateur du Monde, Hubert Beuve-Mery. Les Américains seront-ils capables de réparer les choix maladroits liés au plan de relance économique? Réussirons-ils à éviter l'effet domino qui pourrait provoquer l’effondrement des préparatifs pandémiques à travers le monde?

La présente situation concernant le plan de relance économique est vraiment incroyable. Cela fait des années que les États-Unis se positionnent en leader mondial et poussent le monde entier à se préparer à une pandémie. Et voilà qu’une manœuvre politique risque tout faire s’effondrer, et de positionner l’Humanité dans une situation de très grande vulnérabilité face aux virus candidats au déclenchement d’une pandémie.

Vallier Lapierre

L’ami @VallierLapierre (qui a une plume admirable, lui aussi --- je vous invite à découvrir son blogue Tous complices) me répondait hier sur Twitter: «Dans le contexte actuel, ça ressemblerait aux dix plaies d'Égypte. Nous vivons une époque vraiment formidable.» Dans le sens de «très grand, important, redoutable, terrible», oui, je suis d'accord. Mais ce n'est pas, à mon avis, une époque magnifique, merveilleuse, phénoménale, prodigieuse, remarquable. À vous de choisir...

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