Blogue de Lyne Robichaud

20 juin 2011

Une population n’est pas un groupe-cible: pourquoi la pensée publicitaire peut nuire à la collaboration entre les gens et le gouvernement

Alberto Cottica

Avec l’autorisation d'Alberto Cottica, il me fait plaisir de traduire en français son billet du 13 juin 2011, intitulé "A people, not a target group: why advertising thinking can damage the collaboration between people and government". Traduire la plume d’Alberto Cottica n’est pas facile. Il écrit dans un style particulier, unique. J’ai fait de mon mieux, en espérant avoir respecté son style.

J'aime ce billet d'Alberto Cottica pour deux raisons: premièrement, il parle d'une COLLABORATION CONSTRUCTIVE (ce qui rejoint mon propre discours); et deuxièmement, il parle de PRISE DE CONSCIENCE (vous le savez sans doute, il s'agit de mon sujet de prédilection).

Ce bout de phrase a attiré mon attention, et c'est ce qui m'a poussée à traduire son billet: "le consommateur (ou un électeur) est considéré comme un idiot, un individu égoïste qui réagit à la stimulation instinctive." Alberto Cottica décrit la situation en Italie, mais ce qu'il propose est universel, et devrait être appliqué dans tous les gouvernements ouverts.

Alberto Cottica décrit dans ce billet ce qui ne devrait pas être fait: il met en garde contre une approche marketing de la relation de co-production co-création entre un gouvernement et des citoyens. Il décrit CE QUE NOUS NE VOULONS PAS. C'est un bon départ, lorsque l'on désire modifier ses pensées et ses comportements, de débuter par l'identification de ce qui ne fonctionne pas.

Suite à l'annonce du départ de Vivek Kundra, John F Moore a publié ce billet, "Open government continues to stall with the departure of Vivek Kundra", que j'ai traduit, "Le gouvernement ouvert continue de stagner avec le départ de Vivek Kundra". John F Moore a déclaré: «Il est mauvais que nous restions orientés sur la technologie, avec des lacunes en organisation et stratégies. Ceci devrait être une bonne chose, à long terme.» «Un gouvernement ouvert demeure principalement un effort axé sur la technologie, avec peu d'attention pour la plus grande image de ce qu'un gouvernement ouvert devrait être.» Qu'est-ce que c'est, John, qu'est-ce qu'un gouvernement ouvert devrait idéalement être?

Il serait intéressant, maintenant, qu'Alberto Cottica. John F Moore (et / ou d'autres personnes, et pourquoi pas moi-même) s'efforcent de décrire CE QUE NOUS VOULONS. En quoi devrait consister une relation de co-production co-création entre un gouvernement et des citoyens? Le défi est lancé... Et les réponses, je parie - j'en suis persuadée -, devraient avoir un lien ou rapport avec la conscience.

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UNE POPULATION N’EST PAS UN GROUPE-CIBLE: POURQUOI LA PENSÉE PUBLICITAIRE PEUT NUIRE À LA COLLABORATION ENTRE LES GENS ET LE GOUVERNEMENT

La campagne électorale municipale de Milan de cette année nous a laissé un précieux héritage: la prise de conscience que de nombreux citoyens sont désireux et capables de collaborer avec leurs représentants élus d'une manière constructive. Grâce à un grand nombre de personnes impliquées, (le cumul de) leur grande énergie créative, et leurs outils Internet permettant de coordonner la réalisation d'objectifs communs, le potentiel des citoyens connectés contribuant à un renouveau si criant du pays est sans équivoque. La société civile italienne a réclamé un rôle pour elle-même; il n'y avait pas d'Obama à qui le réclamer. La société s'est avérée au moins aussi avancée que toute autre dans le monde, et peut-être même davantage.

Il appert que cet héritage comporte cependant un côté sombre. Outre les citoyens, les protagonistes de la campagne milanaise étaient des experts en communication Internet, qui ont tendance à avoir un parcours en marketing. L'approche dérivée du marketing fait sens pour les campagnes électorales, parce que le vote a un coût quasi inexistant, des seuils d'accès peu élevés, et surtout cela est souvent dicté par l’irrationnel et des motivations instinctives. Toutes ces caractéristiques fonctionnent lorsqu’il s’agit d'achat de biens de consommation. Par conséquent, des experts en communication politique parlent la langue du marketing et de la publicité: ils racontent des histoires comme Nixon ayant cédé la présidence à Kennedy, car, dans le principal débat télévisé, il était en sueurs. Leur travail ne consiste pas à aider les citoyens à se construire une idée réaliste de ce qui est nécessaire dans le prochain mandat, mais de les amadouer à voter pour un certain candidat, même si ils le font pour des raisons superficielles ou mauvaises. Certes, ce n'est pas particulièrement noble, mais cela fonctionne.

La collaboration entre les citoyens et les pouvoirs publics s’avère très différente de la concurrence au scrutin, et l'analogie avec l'achat de biens de consommation ne s’applique pas. Concevoir et promulguer des politiques s’effectue à un coût élevé. Il s’agit d’une activité prolongée, qui nécessite une argumentation rationnelle, des données, et de la compétence. Dans ce contexte, des techniques de séduction issues de la profession du marketing ne fonctionnent pas bien; qui plus est, celles-ci risquent de faire des dégâts. En particulier, elles risquent de créer des bulles de participation: d'abord leurrant les gens qui s’inscrivent, et qui en cours de route, confrontés à l’épuisante procédure de conception des politiques, se découragent et décrochent en masse – conservant une mauvaise expérience, et laissant à d'autres la corvée de la réorganisation de l'ensemble du processus. Promulguer le gouvernement wiki ne consiste pas à attirer de grandes foules, mais plutôt à permettre à chaque citoyen de choisir de s'engager ou non, tout en lui fournissant des informations honnêtes au sujet des difficultés, le dur labeur, et le risque d'échec élevé associé à cette participation. Les indicateurs, eux aussi, ont une signification différente que dans le marketing. Dans le monde de la publicité, attirer davantage de personnes est toujours préférable, alors que dans le gouvernement wiki, une trop nombreuse participation s’avère problématique (ceci implique la duplication des informations, avec de nombreuses personnes étalant les mêmes arguments, et réduisant ainsi le rapport de signal-bruit, avec les contributions de faible qualité submergeant celles de haute qualité).

Il existe une différence fondamentale dans la façon dont la décision de participer est modélisée. Dans la collaboration de style wiki, les participants se choisissent eux-mêmes, alors que dans le marketing, des experts en communication sélectionnent une cible d'une manière «top-down». Dans le premier cas, le participant est considéré comme un adulte pensant, qui doit être impliqué et informé afin que cette personne puisse prendre la bonne décision. Dans le second cas, le consommateur (ou un électeur) est considéré comme un idiot, un individu égoïste qui réagit à la stimulation instinctive, et qui doit être dirigé à faire ce que nous savons qu'il faut faire. Le résultat de la collaboration, quand elle est bien conçue, est ouvert et imprévisible, alors que l’issue du marketing, quand celui-ci est bien conçu, est l’atteinte d’un objectif fixé a priori.

Dans l'ensemble, une évolution du discours sur la collaboration vers le marketing serait une erreur. Une augmentation du nombre de participants à un processus unique ne signifie pas automatiquement une amélioration. Un maire n'est pas une marque. Une volonté d'aider n'est pas une tendance à être exploitée sur le court terme (et si c’est le cas, nous n'avons pas d'utilisation pour cela, puisque la collaboration génère des résultats de rendements de politiques sur le moyen et le long terme). Et surtout, les citoyens ne sont pas une cible, car ils n'ont pas besoin d'être convaincus. Ils ont besoin d’être en mesure de faire ce qu'ils veulent faire. Il est clair que les Italiens sont désireux de tenter une collaboration avec des autorités publiques à peu près décentes. Cette collaboration a besoin d'espace et de patience pour croître sainement et se renforcer, à l'abri du battage publicitaire et d’attentes irréalistes. J'espère que les dirigeants des autorités italiennes - à commencer par le nouveau maire de Milan, Giuliano Pisapia – le leader qui symbolise mieux la phase actuelle – résisteront à la tentation d'encadrer la collaboration comme s’il s’agissait d’une campagne [électorale], les citoyens en tant qu'électeurs, la conversation rationnelle comme moyen dissimulé de persuasion. Céder à ceci voudrait dire se tirer une balle dans le pied, et gaspiller une occasion que le pays ne peut pas se permettre de manquer.

Alberto Cottica est un économiste, musicien, et citoyen, dans aucun ordre particulier. Expert en politiques au Conseil de l'Europe. Auteur couvrant les frontières de la collaboration entre les citoyens et leurs gouvernements. Il blogue en anglais et en italien.

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