Blogue de Lyne Robichaud

18 novembre 2008

Goûterons-nous aussi aux galettes de boue?

Goûterons-nous aussi aux galettes de boue, si l’impact d’une pandémie sur les chaînes d’approvisionnement n’est pas mieux compris?

Paru le lundi, 25 août 2008, dans la Gazette de Zonegrippeaviaire.com


The Guardian. Photo source

J’ai déjà imaginé qu’il se pourrait que nous soyons forcés de manger beaucoup de galettes de farine pendant une pandémie, si jamais l’interruption des chaînes d’approvisionnement et des pénuries d’énergie faisaient en sorte que s’effondre notre système d’économie juste-à-temps. J’ai aussi tenté de comptabiliser mentalement à combien s’élève la réserve de farine (si elle existe) de l’armée du pays, et de quelle manière il faudrait s’y prendre pour la distribuer à la population, si jamais il ne restait plus rien sur les tablettes des magasins d’alimentation.

Mais mon imagination n’avait encore jamais considéré la possibilité des «gâteaux de boue». En fait, pour être franche avec vous, je ne pensais pas qu’il soit possible d’avaler de la boue! J’ai certainement dû y goûter quand j’étais petite. Quel enfant ne se met pas une poignée de sable dans la bouche un jour ou l’autre? Mais, comme tout le monde, je me suis vite rendu compte que la terre, le sable, et la boue, ça ne se mange pas. Donc dans mes scénarios de préparatifs de pandémie les plus graves, non, j’avoue que je n'ai encore jamais pensé à m’informer de la recette des galettes de boue, au cas où j’aurais à en préparer pour nourrir mes proches ainsi que moi-même, en désespoir de cause.

Je parie que vous non plus, n’avez pas encore pensé aux «gâteaux de boue», et ne les avez pas intégrés dans votre liste de préparatifs individuels.

Alors, quand je lis que la moitié des habitants d’Haïti sont réduits à devoir manger des galettes de boue comme étant le seul aliment qu’ils peuvent se payer, c’est plutôt difficile à imaginer. Pourtant, c’est bel et bien réel. Haïti, un pays de 8,5 millions d’habitants – une population presque identique à celle du Québec – n’arrive plus se nourrir. La moitié de ces gens meurent de faim. Cela équivaut à plus de 4 millions de personnes.
«Haïti - Les gâteaux de boue sont devenus le régime de base de nombreuses familles pour qui la nourriture, dont les prix montent en flèche, est hors de portée. Avec la pauvreté et les prix des produits d’importation qui explosent, la moitié de la population meurt de faim.

«Les gâteaux de boue stoppent la sensation de faim», indique Marie-Carmelle Baptiste, 35 ans, une productrice, en regardant son stock disposé en rangées. Elle n’a aucune illusion sur leurs attraits: « vous en mangez quand vous ne pouvez pas faire autrement».

Et ces temps-ci justement, beaucoup de gens ne peuvent pas faire autrement. La crise pétrolière et alimentaire mondiale a touché Haïti plus durement peut-être que les autres pays, poussant une population déjà engluée dans une extrême pauvreté, vers la famine et la révolte.»

L’Organisation de l’Alimentation et de l’Agriculture des Nations Unies (FAO) a prédit que la facture de la nourriture importée va grimper de 80% cette année pour Haïti, la plus rapide au monde. «La nourriture est disponible mais les gens ne peuvent pas se permettre de l’acheter. Si la situation empire, nous pourrions rentrer dans une période de famine dans les 6 à 12 mois», a déclaré Prospery Raymond, le directeur de l’association britannique Christian Aid, dans le pays. (The Guardian)

The Guardian. Photo source

La crise alimentaire mondiale frappe dur, et cela ne fait que commencer. Des tragédies comme celles d’Haïti, j’ai l’impression que nous n’avons pas fini d’en entendre parler.

Si et quand la prochaine pandémie d’influenza se déclenchera, alors la crise alimentaire pourrait se transformer en épouvantable fléau mondial. Et même les pays développés pourraient être gravement touchés. Les pays développés qui n’auront pas bien compris l’effet d’une pandémie sur les chaînes d’approvisionnement pourraient eux aussi se retrouver avec de graves problèmes de famine.

Malheureusement, les problèmes d’approvisionnement ne semblent pas être très bien saisis par plusieurs pays développés, y compris naturellement le Canada – puisque nous sommes les moins bien préparés à faire face à une pandémie.

Le dernier bulletin datant du 21 août dernier de Michael Osterholm, directeur du CIDRAP aux États-Unis, débute avec une citation de Henry Kissenger: «Il ne peut pas survenir de crise la semaine prochaine. Mon agenda est rempli.» [There can not be a crisis next week. My schedule is full.] Michael Osterholm analyse dans cette infolettre le Registre national des risques [National Security Strategy Report] du Royaume-Uni, et il s’étonne que les experts britanniques aient, en grande partie, passé à côté de l'impact réel de la prochaine pandémie et de sa probabilité. Le Royaume-Uni a pourtant compris et déclaré qu’une pandémie se situe désormais en première position des menaces de la nation. Michael Osterholm a indiqué:
«Le rapport a complètement manqué un point et a perdu la perspective sur les autres.

Le rapport n’offre pas une seule mention des chaînes d'approvisionnements perturbées par des interruptions graves de commerce international et de voyage, ou de main-d'oeuvre compromise dans d'autres pays qui fournissent les produits critiques et les services au Royaume-Uni.

Le manque de médicaments critiques de survie pour les situations de non influenza et la nourriture, l'eau, et les coupures potentielles d'électricité pourraient conduire à autant de décès que ceux causés par le virus de la grippe.

Les dommages collatéraux économiques et sur la santé qu'une pandémie pourrait provoquer quand le commerce et le transport sont compromis sont substantiels et ne peuvent pas être ignorés.»
Il n’y a pas qu’au Royaume-Uni que les dommages collatéraux d’une pandémie ne sont pas compris, ou ignorés.

Le Canada et le Québec ne brillent pas non plus d’une exceptionnelle compréhension de ces questions. Le document «Pandémie d’influenza, avancement des travaux» de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec est intéressant, car il est très récent (2-6 juin 2008) et il donne des pistes de démarches effectuées par le gouvernement. Nous qui sommes si peu habitués à être informés de ce que trame le gouvernement, sautons donc sur le peu d’informations comme s’il s’agissait d’une mine d’or…

À la page 10 du document de la FIQ, on peut lire que le gouvernement du Canada a constitué une «réserve de produits critiques pour subvenir aux besoins des provinces les plus touchées. Par ailleurs, le gouvernement du Québec constitue sa propre réserve et a mis sur pied le Comité de sécurité de l’entreposage et de la distribution des médicaments. Le MSSS a défini une stratégie d’approvisionnement des médicaments, des fournitures et des équipements requis lors d’une pandémie d’influenza. Cette stratégie prévoit des activités visant le maintien des activités du réseau.»

Les autorités du pays ont donc l’air d’avoir compris une partie du problème, et limitent leur compréhension uniquement au domaine de la santé. Où se situe la logique, dans cette stratégie limitée, d’appliquer la possibilité de pénuries d’approvisionnement uniquement aux hôpitaux et autres lieux de soins de santé? S’il doit y avoir des pénuries d’approvisionnement, pensez-vous que ce sera uniquement dans les hôpitaux? Le même phénomène sera probablement observé ailleurs, dans tous les autres secteurs de l’économie, y compris les épiceries.

Il y a donc quelque chose qui ne tourne définitivement pas rond dans la stratégie de planification des autorités canadiennes. Le gouvernement du Québec prévoit distribuer son Guide d’autosoins (en 5 millions d’exemplaires aux citoyens québécois) qu’au moment du déclenchement de la pandémie. Ce guide recommande de stocker pour l’équivalent de deux semaines de vivres et de biens essentiels.

Mais il sera déjà trop tard, à ce moment-là, pour que les citoyens québécois constituent leurs réserves. Des chercheurs de l’Université de Sydney ont analysé ce scénario de dernière minute – où des millions de personnes se rueraient en même temps sur les magasins d’alimentation. Ils ont conclu qu’en moins de 2 semaines (maximum 4 semaines), il ne resterait plus aucune denrée alimentaire disponible dans les épiceries. Le phénomène de pénurie s’accentuera si la majorité de la population n’a pas prévu d’effectuer ses préparatifs personnels.


Michael Osterholm. Photo source

Michael Osterholm martèle cela depuis des années: dès les premiers jours de la pandémie, nous allons manquer de tout. Y compris de la nourriture.
«Je crois que la prochaine pandémie de grippe, même de nature la plus modérée, serait l'un des événements les plus catastrophiques de santé publique de notre histoire. J'arrive à cette conclusion en raison de: l'envergure de la population mondiale actuelle (approximativement 6,5 milliards, comparée à 1,2 milliards en 1918), la probabilité d'un manque de réserve de vaccins efficaces au début de la pandémie, et l'existence de l'économie "juste-à-temps" (just-in-time), qui signifie que nous épuiserons la plupart des produits et services essentiels, comme les médicaments et les vaccins, d'autres fournitures médicales, et même la nourriture, dès les premiers jours de la pandémie
Alors, où allons-nous trouver la nourriture, pendant la première vague d’une pandémie? La plupart des gens n’ont pas plus de 72 heures d’approvisionnement. C’est ce qui est présentement recommandé, c’est la norme canadienne. Où voulez-vous aller avec 3 jours de vivres, quand on sait qu’une vague de pandémie pourrait durer jusqu’à 3 mois, et qu’une pandémie elle-même pourrait durer jusqu’à 2 ans?

Les galettes de farine, c’est peut-être encore trop luxueux, comme repas de pandémie. Les galettes de boue, par contre, il se pourrait que plusieurs d’entre nous soient forcés d’en avaler plus souvent qu’envisagé.

Gardons donc la «Bouée de sauvetage en cas de pandémie» à portée de la main. Parlons-en à nos proches, même si ce n’est pas un sujet très réjouissant. Non, ce genre de bouée de sauvetage n’est pas très sexy dans une conversation, mais cela pourrait faire toute la différence lors de la prochaine pandémie. Et moins de galettes de boue en perspective…

Aucun commentaire:

 
TwitterCounter for @Lyne_Robichaud