Au Canada, de plus en plus, il devient évident que nous sommes embourbés dans des problèmes semblables à ceux qui sont propres aux États totalitaires. On entend de plus en plus souvent l’expression «Big Brother», on voit se soulever des tollés d’indignation suite à des décisions gouvernementales. L’information ne circule pas bien au sein de nos administrations gouvernementales. Cela semble avoir nombreuses et fâcheuses répercussions sur la démocratie au pays. Le rôle des chercheurs est dangereusement compromis, alors que le rôle des médias sociaux, qui aurait dû normalement être accueilli favorablement par le gouvernement du Québec, a été rejeté le 17 juin dernier.
J’ai savouré un article paru le 21 août dans Le Devoir, signé par Pierre Noreau, président de l'Association francophone pour le savoir (Acfas), chercheur au Centre de recherche en droit public (CRDP), et professeur titulaire à la faculté de droit de l'Université de Montréal, comme une délicate truffe au chocolat qui aurait été parfumée d’une essence exquise. [voir le profil de Pierre Noreau ici.]
Car ce monsieur a exprimé de manière si éloquente ce que mon intuition me dicte depuis des mois. J’ai tout de même réussi à identifier ce que j’appelle la problématique du Big Brother il y a quelques jours, dans mes billets datés du 16 août Plusieurs jugent que le premier ministre Stephen Harper se comporte en Big Brother. Quel impact cela a-t-il sur la planification de pandémie au Canada? et du 20 août Quand les médias sociaux prennent le relais du travail de diffusion que devrait effectuer le gouvernement, et à m’interroger sur les conséquences de la situation sur le domaine des préparatifs pandémiques.
Pierre Noreau a mentionné plusieurs exemples survenus dans divers domaines de la société canadienne et québécoise. Le problème de garrottage de l’information me semble donc s’être propagé au Canada avec autant de force et de facilité que le virus H5N1… Ma lecture des événements était donc appropriée, et mon hypothèse, que l’attitude Big Brother ait pu s’être transférée de l’administration Harper au palier suivant de gouvernement (le niveau provincial), a tout l’air d’être partagée par d’autres, puisque Pierre Noreau donne dans son texte l’exemple de l’Office québécois de la langue française, une agence du gouvernement du Québec.
Le domaine des préparatifs pandémiques souffre beaucoup de cette situation, car le sujet de la grippe aviaire est délicat. En plus de faire partie de ces choses dont le gouvernement souhaiterait «éviter que l’attention ne se porte sur un enjeu important», le sujet comporte d’autres barrières psychologiques importantes, telles que la contemplation de notre propre mort (la problématique de la place de la mort dans notre société), la perte de résilience communautaire (le délabrement de la cellule familiale, les familles monoparentales et recomposées, le pourcentage élevé de personnes vivant seules), l’apathie et l’indifférence, etc.
Donc le sujet de la grippe aviaire et d’une possible pandémie n’est pas facile en soi, et il est confronté en plus à une tendance de «société du silence», une expression de Pierre Noreau qui définit admirablement bien à mon avis ce bourbier dans lequel nous nous enfonçons un peu plus chaque jour.
Pierre Noreau a parlé des effets de la «société du silence» sur la perception des citoyens par les autorités gouvernementales. Dans un langage plus terre-à-terre, un des membres de la communauté virtuelle de Zonegrippeaviaire appelle cela «l’effet bébé lala». Voici un extrait du texte de Pierre Noreau:
«Derrière tous ces exemples se dessine une certaine vision du monde. On y postule implicitement que les citoyens ne sont pas en mesure de faire eux-mêmes les choix qui les concernent et que leurs besoins seront toujours mieux cernés et mieux servis par les décisions d'une autorité établie et éclairée.Pierre Noreau identifie deux solutions, ou remèdes, à cette situation: «l'information du citoyen et l'élaboration des conditions d'un véritable débat public.»
L'obscurantisme devient alors, pour ainsi dire, une nécessité de l'action politique et de l'activité économique. Il en va de même des résultats de la recherche, qui seront toujours jugés trop complexes pour le profane et toujours susceptibles d'inquiéter inutilement le citoyen, le patient ou le consommateur. Comme l'écrit Edgar Allan Poe: «L'ignorance est une bénédiction, mais pour que la bénédiction soit complète, l'ignorance doit être si profonde qu'elle ne se soupçonne pas soi-même.» (Le Devoir)
L’information du citoyen, s’il arrive qu’elle ne soit pas bien communiquée par le gouvernement, les citoyens la prennent eux-mêmes en charge en utilisant les médias sociaux comme plate-forme de diffusion. Nous avons pu observer comment cela est arrivé dans le cas du rapport de Santé Canada sur les effets des changements climatiques sur la santé des canadiens, et aussi pour l’information ayant trait à la grippe aviaire et les préparatifs pandémiques avec la sphère du Flublogia et le site Zonegrippeaviaire.
Pour ce qui est du véritable débat public, les médias sociaux offrent la possibilité qu’agisse la magie du principe de la sagesse des foules, et encore là, nous avons pu observer, notamment dans la sphère du Flublogia, à quel point les médias sociaux sont efficaces à élever le niveau de connaissances des citoyens et à briser les mécanismes de la «société du silence».
Keiji Fukuda, OMS. Photo source
En lisant le texte de Pierre Noreau, cela m’a fait penser à une déclaration de Keiji Fukuda, de l’Organisation mondiale de la santé, du 7 mai dernier, concernant une soi-disant «renaissance scientifique» dans le milieu scientifique. Une habile stratégie qui avait pour but d’inciter les scientifiques à mieux collaborer et à partager leurs informations séquentielles de virus (H5N1 et autres virus de l'influenza), mais qui semble ne pas vraiment avoir atteint ses objectifs. La tendance à la «société du silence», dans le domaine de la recherche scientifique, s’étend au-delà des frontières du Canada, et compromet l’intégrité du domaine de l’influenza. Voici ce qu’a déclaré Keiji Fukuda il y a quatre mois:
«Nous sommes à une période où l'information concernant divers aspects de l'influenza ne fait que bourgeonner. En quelque sorte, nous sommes dans une sorte de renaissance scientifique, mais l'information technique concernant un certain nombre de diverses questions a réellement augmenté à un rythme accéléré... Alors notre compréhension du virus - les effets sur les gens, l'épidémiologie, comment les virus se déplacent à travers le monde - est beaucoup plus élevée qu'elle l'était il y a quelques années, et cela se poursuit.»Quoique parler d’un phénomène de Renaissance pourrait s’avérer encore trop précoce, en ce qui concerne les efforts déployés dernièrement par plusieurs citoyens canadiens pour renverser la tendance générale de la «société du silence», je vois poindre une lueur d’espoir à l’horizon. Une toute petite flamme portée par des centaines d’individus, qui croient encore à la démocratie et qui souhaiteraient pouvoir penser, parler et vivre en paix.
La conclusion du texte de Pierre Noreau est si probante et si bien tournée qu’il serait difficile de trouver de meilleurs mots que lui. En tous cas, son texte m’a profondément touchée…«La fonction première des médias de rendre [le véritable] débat [public] possible, mais c'est aussi celle de la recherche contemporaine. Elle doit éclairer les choix auxquels nous sommes tenus. Elle devient dans ce sens une condition de la vie démocratique. La mise en oeuvre de cet impératif nécessite la reconnaissance de l'immunité dont doit être revêtu le monde de la recherche. Elle réside dans la liberté de parole qui doit être reconnue au chercheur et au penseur dans notre société. Elle réside aussi dans le devoir exigeant qui s'impose à lui de prendre la parole chaque fois que le bien commun l'exige, quel que soit le milieu où il oeuvre. Cela nécessite cependant que soient sauvegardées l'intégrité et la solidarité des milieux scientifiques, et que le monde de la recherche soit lui-même traversé par les exigences d'une nouvelle «citoyenneté». On entend par là que le chercheur doit être partie prenante du dialogue continu que chaque société établit avec elle-même, et qui la rend meilleure.» (Le Devoir)
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