Blogue de Lyne Robichaud

18 novembre 2008

Il est urgent que Yves Pépin adapte ses stratégies de communication aux communautés virtuelles

Les raisons pour lesquelles il est urgent que le haut fonctionnaire Yves Pépin prenne des cours de rattrapage et adapte ses stratégies de communication aux communautés virtuelles

Paru le samedi, 9 août 2008, dans la Gazette de Zonegrippeaviaire.com


Photo Marc Romanelli, Riser Collection, # 10158529 Getty Images

D’après l'étude intitulée Leadership d’opinion et communautés virtuelles: un état de l’art, de Younss Fejlaoui, du Centre de recherche en gestion, Institut d’administration des entreprises, Université des sciences sociales de Toulouse, en France, l’intégration du concept de leader d’opinion dans les stratégies marketing et de communication constitue le moyen incontournable d'approche des communautés virtuelles, qui s’avèrent être une nouvelle forme de communication avec un incontestable contre-pouvoir viral. Les décideurs marketing NE DOIVENT EN AUCUN CAS LES DÉLAISSER. Ils doivent également tout faire pour mettre en œuvre des stratégies de communications qui leur seront adaptées.

À la lumière de cette étude, il semblerait que le décideur en communications, M. Yves Pépin de Services Québec, celui-là même qui a rejeté la communauté virtuelle Flublogia et le média social Zonegrippeaviaire, en décidant le 17 juin dernier au nom du gouvernement du Québec qu’ils ne seraient pas reconnus «parce qu’il ne voulait pas avoir à reconnaître les autres», aurait intérêt à prendre des cours de rattrapage en communications marketing et apprendre à mieux maîtriser l’art de communiquer avec les communautés virtuelles, s’il ne souhaite pas être considéré par ses pairs comme un «has been» dépassé par les nouveautés dans son domaine professionnel, celui des communications.

L’auteur de l’étude Leadership d’opinion et communautés virtuelles indique que le concept du leader d’opinion est né dans les années cinquante, avec les recherches en sociologie. Lazarsfeld et al. (1948) ont été les premiers à introduire ce concept dans leurs recherches. Ils ont souligné l’influence qu’avaient les amis, les collègues de travail sur les décisions du vote, lors des élections présidentielles aux États-Unis en 1940, donnant naissance au concept du leader d’opinion.

Katona et Mueller (1955) ont démontré que la communication interpersonnelle est la plus importante source d’information. En 1959, il a été suggéré que lors de la prise de décision, les sources personnelles peuvent être plus efficaces que les mass media (Fisk , 1959), et affecter les préférences et les choix (Arndt, 1967).

Plus récemment, des chercheurs ont fourni la confirmation que l’information diffusée par le bouche-à-oreille aurait un impact plus grand sur la décision [d’achat – dans un contexte marketing] que les autres sources d’information classiques, comme la publicité (Urbany et al. 1989).

Dans l’hypothèse qu’un gouvernement souhaiterait communiquer des messages à sa population lors d’une situation donnée, mettons une pandémie, si on applique les résultats de recherche d’Urbany et al. au contexte de crise pandémique, il se pourrait donc que des communautés virtuelles telles que la sphère du Flublogia et le site Zonegrippeaviaire puissent être efficaces, étant donné que l’information diffusée par bouche-à-oreille pourrait avoir un impact plus grand sur les comportements des citoyens que les messages de nature gouvernementale.

Je ne sais pas pour vous, mais si j’étais dans les souliers d’un décideur en communications marketing, je ne prendrais pas de chance avec les communautés virtuelles. J’essaierais de les mettre de mon côté. Les ignorer ne me semble pas être une solution tellement intelligente ni stratégique, surtout quand on sait pertinemment que les gouvernements peuvent être considérés comme peu fiables par de nombreux citoyens. En temps de crise, s’arranger pour qu’une communauté virtuelle appuie son message pourrait être un élément stratégique important, quand vient le temps de demander à des citoyens de se plier à des mesures qui pourrait être assez drastiques en temps de pandémie.

L’auteur de l’étude Leadership d’opinion et communautés virtuelles indique que Reynolds et Wells (1977) ont donné la première définition du leader d’opinion: un individu influençant d’une manière informelle le comportement d’autres personnes dans une direction souhaitée.

D’autres recherches ont souligné le potentiel des leaders d’opinion, comme une cible des médias, du fait qu’ils constituent une source d’information bouche-à-oreille, PRIMAIRE, au sein des communautés personnelles (Bearden et Etzel, 1982).

L’auteur de l’étude pose la question suivante: un leader d’opinion dans un environnement réel, l’est-il dans une communauté virtuelle? Si je me fie à mon propre cas, je suis un leader dans un environnement réel d’aussi loin que ma mémoire me permet de m’en rappeler, et dès l’âge de 25 ans, j’ai pris sur mes épaules des responsabilités de communauté en menant un dossier de reconnaissance des ateliers d’artistes dans la Loi sur la fiscalité municipale du Québec. À l’époque je me suis définie comme un lobbyiste, je pensais alors que le genre de services que j’effectuais étaient des «relations gouvernementales», une branche des communications. Le lobbying est défini comme ayant pour but d’influencer directement ou indirectement les processus d’élaboration, d’application ou d’interprétation des mesures législatives, normes, règlements et plus généralement, de toute intervention ou décision des pouvoirs publics. Alors appelez cela comme vous le voudrez – lobbyiste ou leader d’opinion - je suis donc un leader d’opinion dans la vraie vie, et j’en suis un aussi dans la dimension virtuelle.

L’étude Leadership d’opinion et communautés virtuelles indique par ailleurs qu’il paraît que nous vivons aujourd’hui dans une époque postmoderne, définie par Badot et Cora (1995) comme étant «une nouvelle condition sociale qui semble commander une adaptation des pratiques marketing pour faire place à une consommation individualisée et tribalisée».

Maffesoli (1988) définit pour sa part la postmodernité comme une «tentative de recomposition sociale». L’individu initierait un mouvement de recomposition sociale, sur la base d’un libre choix émotionnel, d’après Melucci (1991).

Ce qui expliquerait pour quelles raisons la sphère du Flublogia – parmi toutes les autres sphères utilisant les applications du Web 2.0 – est la première à croiser le chemin du gouvernement du Québec, et de lui demander de reconnaître son rôle comme faisant partie de la solution à l’amélioration des préparatifs pandémiques. La «recomposition sociale» permet de consolider l’infrastructure civile et de contribuer par conséquent à la résilience des communautés. En augmentant leur autonomie, les citoyens courent la chance de mieux passer à travers d’une pandémie. Donc toute tentative de recomposition sociale, si elle est inscrite dans les stratégies de lutte contre une pandémie, pourrait permettre d’améliorer les performances de citoyens d’une population en temps de pandémie.

C’est sans doute pourquoi les chercheurs du Centre pour la biosécurité de l’Université de Pittsburg ont recommandé d’inclure les communautés virtuelles dans le processus d’élaboration des mesures d’urgence, notamment le domaine des préparatifs pandémiques.


Le document de Services Québec "Les médias sociaux et la communication du risque" indique pourtant:
"Selon l’article Community Engagement: leadership tool for catastrophic health event, l’infrastructure civique, - composée de la sagesse publique collective et de la capacité de la collectivité à résoudre des problèmes, des associations volontaires qui se forment spontanément à partir d’intérêts communs ou pour la protection du bien-être collectif, ainsi que des associations de services sociaux qui veillent au bien-être de divers groupes sociaux – est essentielle à la bonne gestion d’un événement de santé publique. La mise à profit des capacités de l’infrastructure civique implique l’instauration d’un dialogue structuré entre les autorités publiques et la communauté, l’implication de la communauté dans la résolution des problèmes liés à la préparation et à la gestion de la crise, et la participation de la communauté pour ce qui est des actions posées pour prévenir, gérer et régler la crise.

Durant la préparation de la crise, la concertation et l’implication de la population peuvent consolider le lien de confiance entre les autorités et les individus. La participation de groupes d’influence et de leaders d’opinions est à même d’augmenter la légitimité et la reconnaissance publique accordée aux autorités par les citoyens. L’infrastructure civique peut également contribuer à la diffusion des messages gouvernementaux, portant sur la prévention de la crise en se joignant des groupes sociaux variés, parfois réfractaires à l’information provenant des sources officielles. Le dialogue, mettant à profit les savoirs individuels et la sagesse collective, peut également contribuer à l’élaboration de meilleures politiques de santé publique et améliorer la faisabilité, la fiabilité et l’acceptation de meilleures politiques de santé publique et améliorer la faisabilité, la fiabilité et l’acceptation des plans d’action mis sur pied. En effet, les plans d’urgence élaborés conjointement avec la communauté reflètent davantage les valeurs et préoccupations de la population, ainsi que les réalités sociales et économiques propres à la communauté. Les connaissances et expériences vécues par les individus contribuent aussi à consolider la faisabilité des plans d’urgence sur le plan logistique, mettant de l’avant des solutions et idées originales et novatrices."
Pour en revenir à l’étude Leadership d’opinion et communautés virtuelles, l’auteur indique que la société moderne apparaît comme un maillage de micro groupes sociétaux dans lesquels des individus entretiennent entre eux de forts liens émotionnels. Il s’agirait d’un retour à la communauté et de l’importance du lien social dans la société actuelle.

Cette analyse est intéressante, du point de vue d’une pandémie, où le lien social sera plus que jamais crucial. Le fait d’être dans une ère postmoderne, qui évolue vers la consolidation de la notion de communauté, constitue définitivement un capital d’espoir important face à la menace d’une pandémie mondiale. Michael Coston, dans son billet Planification pandémique: contourner la barrière budgétaire, a déclaré:
«Les communautés qui échouent à se préparer sont celles qui auront probablement les plus grandes pertes, à la fois en termes de vies, et dans leur économie, que celles qui auront mis en place un plan réaliste. Les dommages collatéraux pourraient emporter autant de vies que celles réclamées par le virus lui-même».
Souhaiter que les communautés soient plus résilientes en temps de pandémie s’inscrirait donc dans la tendance générale de notre ère postmoderne de recomposition sociale et de retour à la communauté.

Younss Fejlaoui indique par ailleurs que les réseaux sociaux qui naissent dans l’espace virtuel sont conceptualisés dans les recherches par le terme «communautés virtuelles» (Rheingold, 1993).

Kozinets (2002) avance que le terme «virtuel» peut trompeusement impliquer que ces communautés sont moins réelles que les communautés physiques (Jones, 1995). Kozinets précise: «Ces groupes sociaux ont une réelle existence de leurs participants, et ont ainsi des conséquences sur plusieurs aspects du comportement, celui du consommateur inclus».

Lechner et Hummel (2002) définissent les communautés virtuelles comme étant une nouvelle forme de communication par laquelle les membres d’une communauté partagent l’information et la connaissance pour la résolution de problèmes.

Harismin (1993) perçoit que les communautés virtuelles sont une forme révolutionnaire de participation civique.

Pour devenir une communauté en ligne, Preece (2000) a identifié quatre composantes: des personnes, des buts partagés, des politiques communes, et des systèmes d’information.

La définition de Rheingold (1993) est: «Les communautés virtuelles sont des regroupements socioculturels qui émergent d’un réseau, lorsqu’un nombre suffisant d’individus participent à des discussions publiques, assez longtemps et en y mettant suffisamment de cœur, pour que des réseaux de relations humaines se tissent au sein du cyberespace».

Seybold (2001) a indiqué que «ce sont les relations de pouvoir et de contre-pouvoir qui émergent quand on veut s’intéresser aux interactions entre l’entreprise [ou dans notre cas, le gouvernement] et les communautés virtuelles.

La méthode décrite par l’auteur de l’étude pour entrer en contact avec les communautés virtuelles est la suivante:

Tsang et Zhou (2005) suggèrent, comme étape préliminaire, une recherche de permission des participants leaders d’opinion afin de les contacter, dans le but de leur fournir des informations en avant-première et de leur proposer des articles promotionnels exclusifs.

L’étape suivante est celle qui permet de forger une relation à long terme avec les leaders d’opinion au sein de ces communautés, en les invitant à être des membres d’honneur dans leurs panels, ou des bêta-testeurs des nouveaux produits [ou dans notre cas, des politiques et des mesures d’urgence].

Tsang et Zhou (2005) avancent que si ces stratégies sont menées correctement, les leaders d’opinion peuvent se transformer et devenir des transporteurs d’une information positive, et par conséquent, influencer les autres consommateurs [dans notre cas, les autres citoyens] composant la communauté.

Récapitulons un peu ce qui s’est passé au cours des derniers mois, lorsque qu’un leader d’opinion d’une communauté virtuelle du domaine des préparatifs pandémiques, le site Zonegrippeaviaire, a approché M. Yves Pépin, chargé de la gestion du site Internet Pandémie Québec, et directeur de la coordination de l’information et des mesures d’urgence de Services Québec.

Premièrement, notez que ce n’est pas le décideur qui a contacté le leader d’opinion de la communauté virtuelle. C’est le leader d’opinion qui a effectué le contact. Alors la première étape de stratégie d’approche des communautés virtuelles recommandée par Tsang et Zhou a été loupée par M. Yves Pépin.

Ensuite, M. Pépin a proposé deux rencontres avec le leader d’opinion. La seconde rencontre de Zonegrippeaviaire avec Yves Pépin correspond à la seconde étape de la méthode Tsang et Zhou, soit de forger une relation à long terme avec les leaders d’opinion de communautés virtuelles, en les invitant à être des membres d’honneur dans leurs comités, ou des bêta-testeurs des nouveaux politiques et mesures d’urgence. M. Pépin a également échoué à cette étape, puisque la rencontre du 30 mai avait pour but, non pas d’inviter à la table du comité interministériel de planification de pandémie, ou de proposer une quelconque forme de participation au projet de consultation de la population prévu à l’automne 2008 sur ce que les citoyens pensent des préparatifs effectués à ce jour, mais de ne rien proposer du tout.

La cerise sur le sundae a consisté en la décision du 17 juin 2008 de ne pas reconnaître la sphère du Flublogia et le site Zonegrippeaviaire pour ne pas avoir à reconnaître les autres. Cette décision est apparemment basée sur le document «Les médias sociaux et la communication du risque». Toutefois, cette analyse ne comporte aucun chapitre portant sur les relations qui devraient être développées entre le gouvernement du Québec et les communautés virtuelles dans le domaine des préparatifs pandémiques. Yves Pépin se sauve d’avoir à composer avec les communautés virtuelles en se cachant derrière cette analyse, qui évalue uniquement l’hypothèse de l’intégration d’applications du Web 2.0 au site gouvernemental existant, Pandémie Québec. Or, lorsque le leader d’opinion a cogné à la porte de Yves Pépin, il avait été clairement précisé que cette possibilité n’était pas le but de la démarche.

M. Yves Pépin, au lieu de répondre aux attentes et des préoccupations de la communauté virtuelle du domaine des préparatifs pandémique, essaye de justifier son manque de compréhension des nouvelles communications avec le document «Les médias sociaux et la communication du risque». Les aptitudes défaillantes de M. Yves Pépin et de son équipe en termes de communication du risque ont des conséquences graves pour les communautés virtuelles [dans notre cas, la sphère du Flublogia]. Cela pourrait compromettre la capacité des individus, qui composent notre société postmoderne, de consolider la recomposition sociale, et par conséquent, de limiter la résilience des communautés face à la menace d’une pandémie. Ce qui apparaît comme un non sens dans une stratégie de lutte à une pandémie, et un manquement considérable en ce qui concerne un communicateur occupant un poste clé de décision au sein d’un gouvernement.

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