Blogue de Lyne Robichaud

18 novembre 2008

Listériose au Québec: le nouveau ministre de la Santé s’offre en spectacle

Paru le vendredi, 29 août 2008, dans la Gazette de Zonegrippeaviaire.com


Yves Bolduc. Source

Nous en avons vu de toutes les couleurs au Québec, au cours de la journée du 28 août 2008, dans un match verbal à propos des victimes de la listériose, opposant le ministre de la Santé Yves Bolduc au chef de l’opposition officielle Mario Dumont. Plus la journée avançait, et plus le nouveau ministre de la Santé (pas encore élu d’ailleurs) s’offrait en spectacle et avait l’air de se comporter comme un petit garçon gâté qui piquait une crise de nerfs, parce qu’il ne réussissait pas à nous convaincre qu’il avait raison.

Pour celles et ceux qui ne seraient pas au courant de l’histoire, voici un rappel des événements:
> Mercredi matin (27 août), deux hauts responsables du gouvernement ont fait le point sur la situation de la listériose lors d’une conférence de presse diffusée sur les ondes de Radio-Canada International.
Le message officiel se voulait rassurant et avait pour but de démontrer que tout était mis en place par le gouvernement du Québec afin d’assurer un approvisionnement dans la chaîne alimentaire, et de protéger la santé publique par des inspections, vérifications et enquête épidémiologiques effectuées par une armée composée de 264 inspecteurs québécois. [Voir mon billet à ce propos.]
> Jeudi matin (28 août), les médias locaux ont rapporté que les membres d’une famille québécoise d’une victime de la listériose ont révélé qu'ils n'avaient pas fait l'objet des mesures de vérification.

> Le ministre de la Santé Yves Bolduc a ensuite nié les propos des membres de cette famille. Il a déclaré que «toutes les personnes qui ont été en contact avec l'aliment contaminé sont rejointes».

> Le chef de l’opposition officielle, Mario Dumont a déclaré par la suite: «Le ministre de la Santé Yves Bolduc doit des explications à la population sur le processus de surveillance des cas de listériose qui surviennent au Québec

> En fin de journée (28 août), le ministre de la Santé a soutenu «qu'aucune faute n'a été commise après ce décès lié à la listériose».
La Presse canadienne a rapporté en fin de journée du 28 août:
«Le ministre de la Santé Yves Bolduc ordonne à la Protection de la santé publique de resserrer son processus de vérification lorsque surviennent des cas de listériose au Québec. Dorénavant, les autorités de santé publique devront contacter elles-mêmes les proches des personnes touchées par la maladie.

Le ministre Bolduc a été forcé de faire le point jeudi après que les membres de la famille de Raymond-Marie Morin, décédé à Longueuil, aient révélé qu'ils n'avaient pas fait l'objet des mesures de vérification pourtant prévues par le protocole.

[…] le ministre, irrité par les critiques de l'opposition adéquiste…

... [le ministre] soutenant d'autre part que l'Action démocratique cherche à faire une récupération politique de cette affaire.»
On dirait que le nouveau ministre de la Santé et des Services sociaux éprouve de sérieuses difficultés à admettre que son système et ses soldats puissent commettre des erreurs de temps à autre. Ce qui est tout à fait normal. C’est pourquoi lors d’une situation de santé publique, il y a ce qu’on appelle les communications de crise. Le nouveau ministre, au lieu de gérer les communications de crise, génère d’autres crises à chaque fois qu’il ouvre la bouche…

Pourquoi ne s’est-il pas tout simplement contenté d’annoncer qu’il ordonnait à la santé publique d'aller plus loin? C’était un beau message simple à se rappeler, qui sonne bien, et qui aurait peut-être pu réussir à faire oublier la gaffe du début de la journée. Cela aurait démontré, à mon avis, qu’il s’inquiétait réellement du sort des victimes de la listériose. À la place de cela, sa démonstration d’irritation, et son incapacité à admettre la possibilité que des erreurs aient eu lieu, ou que des éléments gagneraient à être améliorés, étaient de trop.

Mais la goutte qui a fait déborder le vase, à mon avis, a été la déclaration du ministre que l’Action démocratique du Québec «cherchait à faire une récupération politique de cette affaire». Voyons donc! Qui voudrait récupérer du capital politique d’une situation où des gens meurent d’empoisonnement alimentaire? Là, je trouve que le ministre tape un peu trop fort avec son marteau, et que l’habituel blâme du comportement de l’autre ne passe tout simplement pas dans la présente situation. Qu’il garde son rejet des responsabilités sur l’autre camp pour une autre fois, parce qu’en pleine crise de santé publique, il me semble que ce genre d’enfantillages n’a guère sa place.

Le nouveau ministre de la Santé Yves Bolduc devrait réaliser que lorsqu’il raconte des bêtises, l’opposition ne pourra pas toujours applaudir ses propos et lui accorder son soutien. C’est ainsi que les choses fonctionnent dans un système de démocratie dite «normale». Les gens du contre-pouvoir sont là pour agir un peu comme des chiens de garde, et il ne faudrait pas que le ministre s’attendre à ce qu’ils soient toujours de son avis.

Par exemple, la semaine dernière, même si le ministre de la Santé Yves Bolduc a raconté des sornettes à propos des sites d’injection supervisés, constituant un total revirement de situation par rapport à la position du Dr Alain Poirier, directeur national de la santé publique du Québec, il peut s’être trouvé très chanceux que l’opposition officielle l’appuie dans son délire, et que ses conseillers en communications le laissent déclarer n'importe quoi. J’ai écrit deux billets dernièrement: 1) à propos de la déclaration initiale de Tony Clement, ministre canadien de la santé, 2) qui a entraîné ensuite l’envolée lyrique du ministre québécois de la santé. [Voir: Candidature de M. Yves Pépin au Prix Supari d’excellence en santé, et À force de jongler avec son image publique et de cracher en l’air, cela pourrait-il éventuellement retomber sur le nez du nouveau ministre de la santé Yves Bolduc?]


Éric Caire. Photo source

Voici ce qu’a déclaré Éric Caire de l’Action démocratique du Québec à propos des sites d’injection supervisés:
«Le critique en matière de santé de l’ADQ était extrêmement satisfait. «Heureusement, le ministre a mis ses culottes et arrêté cette folie-là», dit Éric Caire, qui estime qu’un tel lieu contribuerait à la «banalisation» des drogues dures. Dans le même esprit, M. Caire remet en question le travail des 787 organismes communautaires qui distribuent, chaque année, près d’un million et demi de seringues propres. «Les organismes qui distribuent du matériel ne font pas toujours le suivi de leur clientèle. On ne peut pas dire à ces gens-là (les toxicomanes) moi, je vais t’aider à te détruire. J’ai un problème avec ça», dit-il.»
Je ne suis pas d’accord avec la déclaration de l’ADQ à propos des sites d’injection supervisés, car l’opposition officielle ne comprend pas que de tels lieux aident à contrôler les épidémies. Les positions du ministre canadien de la santé, du ministre québécois de la santé, et du critique de l’opposition officielle en matière de santé vont à l’encontre des directives de l’Organisation mondiale de la santé. Que nos trois moineaux chargés de la santé au pays n’aient pas encore compris cela me surprend énormément. L’ADQ est assez difficile à suivre, car une semaine, le parti se positionne contre des projets qui limitent les épidémies (le sida), et la semaine suivante, il réclame des explications au ministre de la Santé à propos du processus de surveillance d’un foyer d’éclosion (de listériose), et voudrait plus de contrôle des épidémies. J’avoue que cela manque un peu de constance et de logique.

Mais en ce qui concerne la listériose, je pense que l’ADQ a fait son travail d’opposition, en demandant des comptes au ministre, pour des déclarations qui n’aurait sans doute jamais dû avoir lieu, et à propos de possibles failles dans le système de surveillance des éclosions de listériose.

Comme l’a indiqué Mario Dumont, il s’agit d’une «situation très délicate», et on s’attendrait de la part du ministre de la Santé qu’il traite les gens comme des êtres humains. Yves Bolduc applique-t-il son approche Toyota à la crise de la listériose? Est-ce approprié, de la part d’un ministre, de nier les propos de parents d’une des premières victimes, à l’aube d’une crise de santé publique qui pourrait s’étirer encore quelque temps? Cela donne le ton pour les prochaines victimes: c’est-à-dire fermez votre trappe et ne vous plaignez pas, parce que le Ministre n’aime pas qu’on le contredise. Si vous osez parler, et que l’opposition ose lever la main pour poser des questions, alors attendez-vous à ce que le Ministre remette cela avec une jolie démonstration d’irritation.

Quel désolant cirque de relations publiques que tout cela!

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