Paru le jeudi, 21 août 2008, dans la Gazette de Zonegrippeaviaire.com
Une source m’a fait parvenir le document «Pandémie d’influenza: avancement des travaux», daté du 2 au 6 juin 2008, de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec. Merci beaucoup!
Ce document, de 23 pages, comporte quelques mentions de projets prévus à l’automne 2008 par le gouvernement du Québec. La conclusion est «Même si de nombreux efforts sont déployés afin de tout prévoir, beaucoup de préparatifs restent à faire.»
On est donc loin du supposé «Nous sommes prêts» auquel nous avons eu droit par une porte-parole du ministère de la Santé et des Services sociaux. Une fois qu’on l’a lue, c’est déclaration est difficile à oublier. En tout cas, je ne crois pas que je pourrai l’oublier! Voici ce qu’a rapporté la journaliste Marilyn Veillette de La Seigneurie le 5 avril dernier: «Selon Hélène Gingras, le ministère de la Santé est prêt. «On sait comment soigner une pandémie d’influenza car c’est une grippe. Ça se soigne avec des antiviraux. Nous avons déjà une réserve de 13 millions de doses.»
Ce document débute avec la mention que la Fédération informait la délégation en mars dernier à propos du «peu d’information obtenue à la suite des rencontres du Comité consultatif en santé publique sur la gestion du risque en situation pandémie». Donc la propension à la distribution de «peu d’information» de la part du gouvernement du Québec ne s’applique pas uniquement aux citoyens, mais cela semble être également le lot des associations des professionnels de la santé, des syndicats et autres organismes impliqués dans les préparatifs pandémiques.
La Fédération annonce que «le directeur national de la santé publique, monsieur Alain Poirier, rendra public un rapport sur ses intentions advenant une pandémie, et ce, d’ici l’automne 2008.» Les intentions de quoi? Pour ma part, j’ai l’intention de survivre advenant une pandémie… Peut-être que la Fédération voulait dire les projets ou les orientations?
La section 1 (Statistiques mondiales) présente les données tirées du tableau cumulatif des cas humains de l’Organisation mondiale de la santé. Les données ont permis de faire ressortir que les pays les plus touchés sont l’Indonésie et le Vietnam. Le non dit, les nombreux cas suspectés, les probables groupes de cas avec transmission interhumaine qui se font plus nombreux, les cas qui sont mal diagnostiqués, les problèmes de black-out d’information, la politicaillerie associée à la grippe aviaire, rien de cela n’a été expliqué aux membres de la Fédération.
La section 1.2 (Statistiques au Québec) répète les prévisions indiquées dans le Plan québécois de lutte – Mission santé, comme quoi il est prévu un taux d’attaque de 35% (2,7 millions), et 8,600 décès. Le 0,3% de taux de mortalité, ou le scénario ultra léger de pandémie.
Ici, la Fédération ne semble pas s’interroger sur le scénario sélectionné. Le document répète les nombres évalués sans se poser la question si ce scénario tiendra la route face à un virus pandémique qui pourrait ressembler au H5N1. D’ailleurs, il est assez curieux que la section 1.1 ne porte exclusivement que sur les cas de H5N1 survenus à travers le monde, et aucun autre virus, et que par la suite, la section 1.2 tombe dans un scénario pandémique beaucoup trop léger, à mon avis, pour correspondre à une pandémie ayant évolué du H5N1 actuel.
En présentant la situation sous forme de nombre de cas, et en n’indiquant pas le taux de mortalité, il est moins facile de constater l’écart entre la force du virus actuel, ce vers quoi il pourrait tendre en se développant en virus pandémique, et la hauteur des mesures prévues pour y faire face. On sait que le virus H5N1 actuel, dans un pays comme l’Indonésie, atteint un taux de mortalité supérieur à 80%. Or, le taux de mortalité pour lequel planifie le gouvernement du Québec est de 0,3%. Il semblerait que la Fédération ne questionne pas les prévisions de nombre de personnes atteintes et de nombre de décès. Si j’étais un professionnel de la santé, il me semble que ce serait une de mes préoccupations. J’aimerais savoir combien de malades je devrai soigner, et combien d’entre eux pourraient mourir.
Cela m’étonne que les prévisions aient été apparemment acceptées sans plus de réflexions de la part de la Fédération. Le document indique que «l’évaluation des impacts d’une pandémie a été réalisée à partir d’un modèle américain». Je me demande bien de quelle espèce de modèle il s’agit-là, puisque la plupart des plans américains s’enlignent désormais sur un scénario de pandémie grave de 2% de taux de mortalité ou plus.
Ensuite, la Fédération s’avance pour évaluer le pourcentage du personnel du réseau de la santé et des services sociaux qui pourrait être touché par l’influenza en cas de pandémie au Québec. La Fédération mentionne 35%, représentant 80,000 employés, avec 20,000 d’entre eux qui pourraient être simultanément atteints de la maladie.
La Fédération ne semble pas tenir compte de la possibilité qu’il se développe un absentéisme au sein des employés de son réseau.
Comme l’a mentionné Michael Coston, «la plupart des membres du personnel soignant, je crois, veulent travailler pendant une pandémie. Mais peu vont être disposés à se sacrifier inutilement sur l'autel d’un état de préparation insatisfaisant.»
Il semblerait que toutes les discussions et les débats animés qui ont présentement lieu dans les milieux des travailleurs de la santé, notamment aux États-Unis et en Australie, n’existent pas chez les employés de la santé du Québec. AllNurses.com a posé la question «Irez-vous travailler pendant une pandémie». Au 28 juin 2008, Michael Coston a rapporté dans "Rattrapage dans le sondage des infirmières" qu'il y avait désormais plus de 320 commentaires, et presque 1,100 réponses au sondage.
«Il y a eu une lente mais régulière diminution dans le pourcentage des infirmières qui consentiraient à travailler pendant une pandémie (apparemment sans PPE). En avril le nombre était de 50.46 % et maintenant, avec l'addition de plus de 500 voix, ce chiffre s’est érodé jusqu’à 47.08 %. Avec 30 % des répondants qui disent "NON, je ne travaillerai pas", et un autre 23 % d'indécis, le système de santé pourrait voir un absentéisme substantiel avant que toutes les infirmières ou technologies soient physiquement affectés par la grippe. L’hypothèse est un absentéisme de 40% dû à la maladie ou aux soins d’un être cher. Si ceci est soustrait de l’association HCW (membres du personnel soignant) déjà réduit de presque 50%, alors le nombre disponible pour travailler pourrait chuter à 30% - au moment où la charge des patients serait à son point le plus élevé. Si le personnel diminue trop, il est possible que beaucoup de ceux/celles) qui avaient décidé de rester au début, décident de partir, lorsqu’ils réaliseront l'impossibilité de la situation.»Par ailleurs, une étude australienne How will Australian general practitioners respond to an influenza pandemic? A qualitative study of ethical values (Comment les médecins généralistes australiens répondront-ils à une pandémie de grippe? Une étude qualitative des valeurs morales), de Olga Anikeeva, Annette J Braunack-Mayer and Jackie M Street, a conclu que «les codes de l'éthique professionnels devraient inclure des conseils au sujet de la portée du devoir pour traiter pendant des foyers d’infection de maladies infectieuses. La communauté doit confirmer la valeur de la réciprocité, et s'assurer que les généralistes et leurs familles sont équipés de soutien pendant une pandémie et qu’ils ont l'occasion d'être activement impliqués dans la planification de l'état de préparation pour la pandémie.»
Un article de Crawford Kilian mentionne que la recherche dans le dernier Journal Médical de l'Australie montre que seulement un sur 10 médecin généraliste en SA (South Australia – sud de l’Australie) a l’intention de se préparer pour une pandémie. «Les auteurs du rapport ont mentionné que les médecins "ont jugé que leur responsabilité envers eux-mêmes est de rester en santé et de protéger leurs familles, et que cela est supérieur à leur responsabilité de continuer à travailler.»
Ces questionnements-là ne sont pas soulevés dans le document de la Fédération. Existent-ils? J’ai l’impression que non. Pourquoi n’existent-ils pas? J’ai l’impression que c’est parce qu’il manque de l’information et des données aux professionnels membres de la Fédération pour que puisse prendre place le débat sur le conflit entre le devoir public et la survie personnelle. Les professionnels de la santé du Québec sont des êtres humains, au même titre que ceux qui vivent aux États-Unis ou en Australie. Tôt ou tard, ces questions surgiront dans leurs esprits. Il vaudrait mieux que ce débat ait lieu maintenant, afin de permettre un ajustement des préparatifs en fonction des préoccupations qui pourraient être soulevées. Dans la gueule d’une pandémie, il sera trop tard pour se poser la question «Est-ce que je vais travailler, oui ou non?».
Je commenterai la seconde et dernière section 2 du document de la Fédération dans un autre billet.
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