«L’inégalité face à la maladie, la faim, la mort est une carence de liberté effective; ou plutôt elle prive la liberté de ses instruments, en fait une coquille vide. Elle freine l’être humain dans sa réalisation, l’assujettit à la peur, au besoin, lui interdit de choisir entre plusieurs modes de vie.» (Pascal Bruckner, Misère de la prospérité)
La menace constante de la grippe aviaire fige les possibilités d’avenir. La liberté se trouve brimée car l’avenir est compromis par l’avènement d’une pandémie. En effet, comment peut-on prétendre le contraire, lorsque nous sommes confrontés à une multitude de questions à propos des effets d’une pandémie sur l’économie, le système d’approvisionnement juste-à-temps, la fragilité de l’infrastructure des soins de santé, et la santé du porte-feuille de la nation si une grande portion des «jeunes» venait à être emportée par un virus pandémique? Si les planificateurs et les décideurs passaient à côté de la plaque et qu’il manquait de dimension à leur planification (notamment les aspects économiques et sociaux), quelles seraient les conséquences pour une nation?
Peu de réflexion est accordée à l’après pandémie. Il est déjà assez difficile d’imaginer comment sera la pandémie. Après, se dit-on, «nous verrons à ce moment-là». Or, certains pourraient être surpris si un jour «l’après» s’avérait ne plus être du tout comme avant.
À l’exemple de Bruckner, le Dr Henry Niman nous fait réfléchir à sa façon cette semaine, sur la menace toujours croissante du H5N1, non seulement sur notre liberté future, mais sur notre survie et celle de nos sociétés.
L’expansion mondiale de la souche de Fujian est commencée, a annoncé le Dr Henry Niman.
Cette expansion a été confirmée scientifiquement ces derniers jours avec des séquences de Fujian relevées dans trois pays (Japon, Corée du Sud et Russie) n'ayant jamais rapporté de séquences de Fujian auparavant.
Plus que jamais, nous aurions besoin d’une surveillance adéquate de l’évolution de la grippe aviaire. Néanmoins, il reste des problématiques mondiales, de considérables bâtons dans les roues à régler au plus tôt. L’appui sur des résultats de tests faux négatifs, les dénis de cas, les mauvaises méthodologies de tests utilisées, le manque de partage des informations et la retenue des données séquentielles, de même que «l’optimisme irréel» aveuglant les planificateurs et les décideurs, constituent des dangers majeurs à la santé mondiale. [«Optimisme irréel» est une expression employée par l’Agence canadienne d’inspection des aliments dans le document intitulé «La communication des risques et le gouvernement». Ce document décrit ce phénomène chez la population. Toutefois, il est intéressant de noter que ce même phénomène est également observé actuellement par les membres de la sphère du Flublogia chez les planificateurs et les décideurs de nombreuses nations. Ces gens sont après tout des êtres humains comme tout le monde, et ils éprouvent eux aussi la peur à un moment ou un autre.]
Henry Niman, dans «Le H5N1 de Fujian du Japon s’assortit à celui de Primorsky en Russie», indique: «[Ceci] souligne le besoin pour une surveillance active qui ne soit pas appuyée sur des résultats faux négatifs pour contrôler les préoccupations.»
Dans «Expansion mondiale du H5N1 de Fujian confirmé», il ajoute: «Un effort plus sérieux de surveillance est requis afin de cartographier adéquatement le transport et la transmission du H5N1 de Fujian par les oiseaux migrateurs de longue portée. La publication rapide des séquences par des laboratoires du Japon et de la Russie devrait servir de modèle pour cette surveillance. La confiance en des résultats faux négatifs, de même que la retenue des séquences, demeurent un danger pour la santé mondiale.»
Se chevauchent également cette semaine une panoplie d’éléments qui ont pour effet d’accroître les préoccupations. Deux enfants ayant succombé aux Pays-Bas à une infection de grippe saisonnière (H1N1) résistant à l’antiviral Tamiflu, font resurgir l’épineuse question de la résistance aux antiviraux. Ces décès font en sorte que nous ne contemplons plus de la même manière la réserve nationale d’antiviraux, comme nous l’avons fait par exemple il y a deux ans. «Bien que ces isolats [de virus d’influenza] soient sensibles au Relenza, et que certains soient encore sensibles à l'amantadine, la résistance au Tamiflu peut avoir des conséquences mortelles», souligne le Dr Henry Niman (dans «Cas mortels de H1N1 résistants au Tamiflu aux Pays-Bas»).
S’est également pointée au cours des derniers jours la problématique d’un H5N1 bénin et d’infections humaines passant sous le radar de la surveillance. Henry Niman a indiqué au sujet du premier cas humain du Bangladesh: «Un cas bénin de H5N1 dans un taudis surpeuplé de Dhaka, au Bangladesh, en l'absence d'une relation avec de la volaille, est un scénario cauchemardesque. Toutefois, la confirmation est survenue presque quatre mois après l'hospitalisation.»
Une phrase de Henry Niman, à propos du H5N1 bénin, dans son article «L’expansion mondiale du H5N1 soulève des préoccupations de pandémie», a de quoi faire sursauter, et remet en question la majorité des plans de lutte contre une pandémie, appuyés sur l’hypothèse qu’une souche pandémique échangerait sa virulence contre la capacité de transmission interhumaine. «Étant donné que le H5N1 peut se recombiner facilement avec des souches plus agressives de H5N1, les versions plus bénignes peuvent acquérir la capacité de se transmettre facilement, et par la suite acquérir de nouveau les propriétés de virulence.»
Niman conclut: «Cette longue liste de résultats faux négatifs et de retards dans le reportage créent un faux sentiment de sécurité en ce qui a trait à la propagation du H5N1 chez les populations aviaires et humaines, ce qui peut être dangereux pour la santé mondiale.»
En contemplant tous ces éléments – nécessité d’une surveillance accrue, résistance au Tamiflu s’étant transférée dans la grippe saisonnière, possibles cas bénins de grippe aviaire, expansion mondiale d’une nouvelle souche de clade 2.3.2 / 2.3.4 – on se demande comment certaines personnes parviennent à demeurer résolument ancrés dans «l’optimisme irréel», ou un «faux sentiment de sécurité», selon les termes employés par Henry Niman. Comme si la peur d’envisager l’impensable – une pandémie – faisait plafonner certaines gens dans leurs réflexions et leurs agissements, et qu’à un moment donné, ils n’arrivaient plus à voir les choses telles qu’elles sont.
Remplacez le mot «experts» par «décideurs et planificateurs», dans ce passage de Pascal Brucker, tiré de son essai «Misère de la prospérité», et vous aurez l’aperçu de comment cela se passe dans certains pays, en ce moment même: «Le plus inquiétant dans cette situation, c’est peut-être le désarroi des experts. Ils manifestent un singulier mélange d’ignorance et de suffisance. Inaptes à comprendre la conjoncture, ballottés, ils savent tout, ne prévoient rien, se trompent souvent et paient rarement les pots cassés. Leurs aimables divagations n’auraient aucune importance si elles n’étaient assénées avec le sérieux et l’autorité d’un Panzer.»
«L’équilibre est une situation précaire entre deux extrêmes» (comme dirait l’utilisateur de ce site, Alex, dans ses citations). Il est toujours plus facile de faire une analyse a posteriori, de n’importe quelle situation problématique, voire même dramatique. Contrairement à nos aïeux, nous sommes privilégiés de «voir venir» la prochaine pandémie. À l’échelle mondiale, tous les humains n’auront pas le temps de se débarrasser du déni et de «l’optimisme irréel», les gouvernements n’apprendront peut-être pas la collaboration, les financiers ne renonceront peut-être pas non plus à l’appât du gain sans limites pour prioriser la survie, juste le temps d’une pandémie. Toutefois, pour les privilégiés qui auront eu la chance de voir venir la crise, il restera «la liberté» de choisir de se préparer et de sensibiliser l’entourage, pour que de cette volonté partagée grandisse une force salvatrice.
Les propos de Bruckner, écrits avant la menace d’une pandémie, demeurent opportuns: «La «bonne société» est celle qui augmente les chances de tous, leur permet de déployer fins et talents sans se casser les reins sur une structure trop rigide. Une telle société est bonne dans la seule et unique mesure où elle ne s’impose pas à ses citoyens. L’essentiel pour les nations, comme pour les individus, c’est que nul n’occupe durablement la première place, que les dés soient toujours relancés afin de continuer la partie. À défaut d’un égalitarisme abstrait qui générerait l’immobilisme, il faut s’assurer que les personnes bougent, qu’aucune coagulation ou thrombose ne freine ce tourbillon. Pour les hommes libres, jusqu’au bout, les jeux ne sont jamais faits.» (Pascal Bruckner, Misère de la prospérité)
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