Blogue de Lyne Robichaud

18 novembre 2008

L’Ontario a une longueur d’avance sur le Québec dans plusieurs aspects de sa planification de pandémie

Paru le lundi, 18 août 2008, dans la Gazette de Zonegrippeaviaire.com


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Si vous parlez à des fonctionnaires et des décideurs du gouvernement du Québec, ils vous rabâcheront certainement que leurs préparatifs de pandémie sont si avancés qu’ils reçoivent des louanges des autres provinces canadiennes. J’ai entendu ces racontars si souvent maintenant que j’applaudis l’efficacité avec laquelle les personnes qui sont à l’origine de ces rumeurs ont réussi à atteindre un parfait état de lavage de cerveau, et ce, à l’échelle de l’administration gouvernementale au grand complet. Ce qui constitue un exploit en soi, qui mérite d'être louangé! Je ne sais pas qui a flatté dans le sens du poil les planificateurs québécois, mais leur tactique a fonctionné à merveille, puisque les membres de l’administration gouvernementale ont l’air d’être réellement convaincus d’être bons à ce point qu’ils s’imaginent être le point de mire canadien!

J’ai de petites nouvelles pour eux. Non seulement ils ne sont pas le point de mire canadien, mais le Canada n’est pas non plus le point de mire des pays développés. Amir Attaran, chaire en recherche canadienne en droit, santé des populations et politiques de développement globales, à l'Université d'Ottawa, a déclaré que le Canada est le moins bien préparé parmi les pays développés à faire face à une pandémie d’influenza.

«L’important, c’est de participer», pourriez-vous me rétorquer. En ce qui concerne les préparatifs de pandémie, ce n’est certes pas une course mondiale. Nous ne sommes pas aux Jeux olympiques des préparatifs pandémiques. Nous ne jouons pas, avec les autres pays développés, à qui remportera la médaille d’or. Quoique cela pourrait en motiver certains à mieux planifier si un pareil système de pointage mondial était mis sur pied… Quand j’entends et que je constate que mon pays arrive bon dernier parmi la liste des joueurs des pays développés, cela n’a rien pour me rassurer. Car je sais que cette position peu envieuse que nous occupons sera directement proportionnelle au nombre de morts qui seront emportés par un virus pandémique, de même qu’aux dommages à notre économie.

Je constate que même s’il reste encore beaucoup à préparer en vue d’une pandémie, la province de l’Ontario se démarque de plus en plus par rapport au Québec dans plusieurs aspects de sa planification. Cela pourrait permettre notamment aux Ontariens de mieux s’en sortir que les Québécois en cas de pandémie d’influenza.


Le système ontarien a encaissé le SRAS en 2003. J’espère pour eux qu’ils n’oublieront jamais ce qui leur est arrivé, et à quel point cet incident a éprouvé leur système de santé. Voici un extrait du rapport intérimaire de la Commission sur le SRAS et de la santé publique de l'Ontario:
«Le SRAS a démontré que le système de santé publique de l'Ontario est démantelé et nécessite d'être reconstitué. En dépit des efforts extraordinaires de nombreux individus bien intentionnés et la force de nombreuses unités locales de santé publique, le système en général a démontré être totalement insatisfaisant.

Le SARS a démontré par ailleurs que le système central de santé publique de l'Ontario n'est pas préparé, est fragmenté, est mal géré, manque de coordination, n'est pas financé à la hauteur des besoins, est professionnellement appauvri, et en général est incapable de remplir son mandat.

La crise du SRAS a dévoilé des failles profondes dans la structure et la capacité du système de santé public de l'Ontario. En dépit de ces problématiques, l'Ontario peut se compter chanceux que le SRAS ait été ultimement contrôlé sans que la maladie ne se propage à la communauté et qu'il n'y ait eu davantage de propagation dans les hôpitaux, de maladie et de mortalité.»
Cinq années après la publication de ce rapport, nous ne savons pas trop exactement où en est rendu l’Ontario dans son processus de reconstitution du système de santé. En février 2008, une étude menée par Dr Carol Amaratunga de l'Université d'Ottawa, a révélé que les infirmières canadiennes faisaient face à des lacunes considérables en termes de soutien durant des situations d’urgence de santé. Nous sommes loin d’une situation d’avancement idéale, mais malgré tout, l’Ontario a gagné des points sur certains terrains, ce qui l'avantage dans sa planification de pandémie.


Sheila Fraser. Photo source

La province de l’Ontario est la seule province canadienne a avoir signé un accord de partage des données relatives aux maladies infectieuses avec le Canada. C'est ce qu'a indiqué Sheila Fraser, la vérificatrice générale du Canada, dans son rapport intitulé «La surveillance des maladies infectieuses» (Chapitre 5) au sujet de l'Agence de la santé publique du Canada, en mai 2008.
«Grâce à un récent accord de partage de données signé avec l'Ontario, la transmission normale des données a été rétablie relativement à des cas individuels après avoir été limitée pendant deux ans. Néanmoins, l'Agence n'a pas réussi à conclure des accords de partage de données semblables avec les autres provinces et territoires. Cela limite sa capacité de fournir à la population canadienne un tableau complet et cohérent des maladies infectieuses à l'échelle nationale, qui puisse servir d'assise aux interventions en matière de santé publique.»
La ville de Toronto, de la province de l'Ontario, s’est positionnée en leader et pionnière, en devenant la toute première municipalité canadienne à avoir fait l’acquisition de Tamiflu pour ses employés. Dans un mouvement courageux, le conseil de la ville de Toronto a voté le 28 avril 2008 pour acheter suffisamment de Tamiflu pour traiter jusqu'à environ 13,000 employés municipaux lors d'une pandémie.


Thomas Homer-Dixon. Photo source

Par ailleurs, Radio-Canada a révélé hier (le 17 août 2008) que l'Ontario prépare actuellement son propre plan d'urgence en cas de pénurie d’essence. Il paraîtrait que l’Ontario est la première province canadienne à le faire. Voici un extrait du reportage de Radio-Canada:
«Un professeur de l'Université de Waterloo, Thomas Homer-Dixon, a analysé les sources d'approvisionnement en carburant au Canada et il conclut que les provinces du Centre et de l'Est du pays sont dans le pétrin.

M. Homer-Dixon affirme que l'Ontario, le Québec et les Maritimes ne sont pas prêts à surmonter la situation dans l'éventualité d'une importante pénurie d'essence. Le professeur a fait état de ses conclusions devant les membres de l'Association canadienne des commissions de police, en assemblée annuelle, à Toronto.

En cas d'une pénurie mondiale d'essence, si le Moyen-Orient, par exemple, fermait le robinet, les pipelines de l'Ouest canadien ne sont pas en mesure d'alimenter l'Est du pays en pétrole, explique le professeur de Waterloo.

Du côté du gouvernement fédéral, le ministre des Ressources naturelles Gary Lunn se fait rassurant. Il soutient que le pays a un plan et il peut compter sur tout le pétrole produit dans l'Ouest canadien.

Mais selon Thomas Homer-Dixon, le problème est justement là, parce que le Canada tient trop pour acquis qu'il ne manquera jamais de pétrole, puisqu'il en est un producteur.»

Michael Osterholm. Photo source

Le fait que l’Ontario prépare un plan en cas de pénurie d’essence pourrait avantager cette province et aider sa population à traverser une pandémie. Plusieurs experts mondiaux, notamment Michael Osterholm, directeur du CIDRAP (aux États-Unis), ont prédit de graves pénuries d’énergie et d’approvisionnement lors d’une pandémie. Ce spécialiste en maladies infectieuses a déclaré le 31 janvier 2008:
«Une grande partie du monde, incluant les gouvernements, les organisations d'affaires et les médias d'information, est «endormi sur la switch» ['asleep at the switch'] à propos d'une des plus grandes menaces à l'existence humaine à être jamais connue.

Les gens supposent juste que les affaires vont rouler comme la normale - ce qu'elles ne feront pas!

L'impact d'une pandémie de grippe, a-t-il dit, pourrait inclure des pannes massives d'énergie autour du monde, une montée subite d'autres maladies infectieuses mortelles, d'innombrables morts associées aux manques d'approvisionnement médical et de traitements, et davantage.

Le système de santé relativement fragile pourrait s'effondrer. L'énergie, la nourriture, l'eau, les transports, les communications, les pièces d'équipement, la sécurité - tous seront difficiles à obtenir.»

Donc n’importe quelle stratégie de planification en cas de pénurie d’essence est la bienvenue en vue d’une pandémie. Le Royaume-Uni, l’Australie et les États-Unis, entre autres, ont adopté des plans d’urgence détaillés. Ils ont mis en place des réserves stratégiques en cas de pénurie mondiale d’essence. Au cours de la course à la présidence américaine, les candidats ont abordé la question de la hausse des coûts de l’essence et certains ont suggéré de vendre la réserve stratégique. Le blogueur Scott McPherson a écrit un excellent billet à ce sujet (Une raison de ne pas vendre les réserves pétrolières stratégiques), où il développe l’hypothèse que si l’administration Bush a déclaré ne pas avoir l’intention de vendre la réserve pétrolière stratégique, cela pourrait fort bien être une stratégie de planification pandémique. Les États-Unis ont suffisamment de réserves de pétrole pour tenir pendant 8 semaines, plus ou moins l’équivalent d’une première vague de pandémie.
«La décision de l'administration Bush de ne pas toucher aux réserves pétrolières stratégiques représente une stratégie tournée vers l'avenir non prévue par ses adversaires, et oui, ses purs ennemis. Cela signifie, mais amis, qu'il y a des choses plus importantes que de l'essence dispendieuse. Les réserves pétrolières stratégiques actuelles contiennent environ un approvisionnement de 55 jours en pétrole. Cela équivaut à une réserve de huit semaines. Si nous nous attendons à ce que les pandémies viennent en vagues de deux à trois mois, et si les réserves pétrolières stratégiques pourraient faire en sorte que l'Amérique passe à travers deux mois d'une première vague d'une pandémie n'est pas une coïncidence.»
Non seulement les membres du comité de planification de pandémie du gouvernement du Québec n’ont-ils pas songé une seconde aux effets de l’économie juste-à-temps sur une pandémie, et des conséquences que cela aura sur l’approvisionnement, mais ils ne peuvent pas compter sur un plan B en cas de pénurie d’essence. Un membre de ce comité m’a déclaré: «Il se peut qu’on manque de pain de temps en temps, mais ce n’est pas tellement grave.» J’ai bien hâte de voir cela, quand les tablettes des épiceries seront vides, en raison du système juste-à-temps, SI CE N'EST PAS TELLEMENT GRAVE! Que ferons-nous si nos producteurs agricoles québécois ne sont pas en mesure de nous fournir de la nourriture, parce que nous n'avons plus moyen de mettre la main sur de l’essence pour alimenter les pompes des stations services du Québec?

La stratégie actuelle de pandémie du Québec consiste à ne distribuer le Guide d’autosoins aux individus qu'au moment où se déclenchera une pandémie. Personne ou à peu près, au Québec, n’est présentement au courant des recommandations de deux semaines de réserve en nourriture et en biens essentiels mentionnées dans ce document. Une aberration, car il sera alors trop tard pour se préparer... Les gens n’auront pas le temps de s’approvisionner au début de la pandémie, et le système juste-à-temps ne pourra pas fournir pour approvisionner toute une population. C’est ce qu’ont averti des chercheurs de l’Université de Sydney dans l’étude «Bouée de sauvetage en cas de pandémie».
«Ces organisations [grandes chaînes de supermarchés] fonctionnent avec une telle efficacité que leurs chaînes logistiques maintiennent des approvisionnements pour seulement quelques semaines (Russell Neal, AFGC, personal communication). Si la chaîne d'approvisionnements s'arrête, ou s'il n'y a aucune livraison à partir des magasins centraux, les stocks des supermarchés seront épuisés en moins de 2 à 4 semaines (Clare Buchanan, responsable des relations publiques, Pty Ltd, Sydney, NSW, communication personnelle de Woolworths). Si les stocks domestiques débutent à cette étape tardive, alors l'épuisement des stocks sera accéléré.»
Même monsieur et madame tout le monde peut comprendre cela! Il n’y a qu’à aller faire un tour à l’épicerie et à regarder attentivement les quantités qui sont sur les tablettes pour réaliser que ce qu’il y a présentement dans les magasins d’alimentation n’est pas suffisant pour nourrir toute une population pendant des mois.

Le fait est que, lors d’une pandémie, nous allons manquer de nourriture, et nous allons manquer d’essence.

Si nous ne faisons rien pour mieux planifier, cela signifiera que des gens vont mourir de faim, et que d’autres gens vont mourir parce qu’ils n’auront pas d’essence pour se rendre à des services de soins de santé pendant une pandémie.

Je ne sais pas jusqu’à quel point l’Ontario a compris cela en se lançant dans une planification en cas de pénurie d’essence. Peut-être que la dimension pandémique n’est pas tout à fait assimilée par les autorités ontariennes impliquées dans la planification relative à une réserve stratégique de pétrole. Mais peu importe, le résultat est là: les Ontariens vont avoir un plan quelconque s’ils manquent d’essence pour une raison ou pour une autre, alors que nous autres, Québécois, nous allons devoir (encore) nous contenter de rien du tout. Nous nous enfonçons encore plus loin dans notre position de bon dernier le moins bien préparé à une pandémie, et l'écart augmente par rapport à d'autres provinces canadiennes. Et par rapport aux autres nations développées, là, c'est carrément catastrophique!

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