Blogue de Lyne Robichaud

18 novembre 2008

Plusieurs jugent que le premier ministre Stephen Harper se comporte en Big Brother

Quel impact cela a-t-il sur la planification de pandémie au Canada?

Paru le samedi, 16 août 2008, dans la Gazette de Zonegrippeaviaire.com

Ce billet a également été publié le 18 août en tant que commentaire à l'article du 5 août 2008 "La manière Harper indigne les chercheurs" du quotidien Le Devoir.

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Photo: Agence Reuters. Source

Ce n’est pas la première fois que nous entendons dire que le premier ministre du Canada, Stephen Harper, est perçu comme un Big Brother. Ce n’est pas la première fois que nous nous inquiétons à ce sujet. Toutefois, d’une semaine à l’autre, le phénomène s’amplifie et des répercussions déplorables sont tangibles dans le domaine des préparatifs pandémiques, autant au niveau fédéral que provincial.

Un article datant du 12 juillet dernier, signé par le journaliste Alec Castonguay du quotidien Le Devoir, intitulé «Stephen Harper, ou l’art de maîtriser le secret», a rapporté les propos d’un avocat et spécialiste de l'accès à l'information, Michel Drapeau. «Le gouvernement ne veut pas de mauvaises surprises dans les médias, mais il ne veut pas non plus de bonnes surprises. Il veut simplement tout contrôler.» Selon lui, le contrôle de l'information exercé par le gouvernement Harper est devenu «maladif» et «antidémocratique», à un tel point où ce contrôle est «dangereux» pour le grand public. «Ce n'est pas normal et ça défie toutes les notions de transparence», a-t-il dit lors d'une entrevue avec Le Devoir.

Alec Castonguay a mentionné que «l'arrivée au pouvoir des conservateurs a marqué une rupture dans la façon de communiquer avec le public. Les ministres n'accordent presque plus d'entrevues et ne répondent plus aux questions des journalistes après la période de questions, à Ottawa. Les réunions du conseil des ministres ne sont plus annoncées, ce qui évite aux élus de devoir répondre aux médias à la sortie de la salle du cabinet.»

Ce n’est pas tout… Alec Castonguay a indiqué que le contrôle maladif va beaucoup plus loin, et touche les dossiers sensibles. Les affaires étrangères, l’environnement et la défense en font partie. Nous pourrions donc être portés à penser que les questions de grippe aviaire et de pandémie d’influenza, qui sont assez délicates et sensibles, et qui ont rapport avec ces trois domaines, pourraient bénéficier du même traitement de faveur du premier ministre. Le Royaume-Uni a publié au début du mois d’août un rapport, qui a révélé qu’une pandémie d'influenza aviaire est la menace numéro 1 de cette nation. Je suppose que ce qui constitue la menace numéro 1 pour le Royaume-Uni, doit être également la même sorte de menace pour le Canada... Comment cela se fait-il alors que nous n’en entendions jamais parler? S’il s’agit de la chose la plus menaçante, cette préoccupation devrait nécessairement se refléter dans les communications. Le journaliste Alec Castonguay indique: «En matière de communication, plusieurs ministères, surtout les plus sensibles comme les Affaires étrangères, l'Environnement et la Défense, sont complètement sous la tutelle du Conseil privé (le ministère du premier ministre) et du bureau politique de Stephen Harper. Recevoir une simple information factuelle exige une longue attente qui peut prendre des semaines. Parfois, elle ne vient jamais.»

Il y a peu de temps, Santé Canada a publié un rapport sur les conséquences négatives du réchauffement de la planète sur la santé des Canadiens. Le dossier du réchauffement planétaire est, à mon avis, équivalent en importance et impact sur la planète, et sur l’économie, à une pandémie d’influenza. Les questions de pandémie relèvent de la biosécurité et du bioterrorisme, ce qui n’est pas rien. Il y a eu des articles pas tellement rassurants dans les journaux sur l’attitude du premier ministre Harper concernant la publication du rapport, pour n’en nommer que quelques-uns, «Harper est accusé de vouloir cacher les conséquences des changements climatiques» (2 août 2008), et «La manière Harper indigne les chercheurs» (5 août 2008). Fabien Deglise a rapporté: «Au lendemain d'un dévoilement plutôt discret, orchestré au coeur de l'été par l'administration Harper, de cette volumineuse analyse sur les conséquences du réchauffement de la planète sur la santé des Canadiens, plusieurs signataires de ce document ont dénoncé hier avec force la tactique politicienne qui vise, selon eux, à «éviter que l'attention ne se porte sur un enjeu important».

Virginie Roy, de Canoë, a expliqué que le rapport de Santé Canada était prévu pour publication au printemps dernier, et qu’il n’avait pas été précisé pour quelle raison le gouvernement Harper en avait retardé la publication. «À ce moment, les auteurs du rapport ont d’ailleurs tenu à souligner leurs inquiétudes. Ils avaient peur que leur rapport ne soit jamais publié. Finalement, il a été publié en catimini sur le site de Santé Canada, vendredi dernier. C’est la deuxième fois cette année qu’un rapport d’une importance majeure est publié discrètement.»

Ces derniers jours, le gouvernement Harper a annoncé l’abolition de programmes du ministère des Affaires étrangères supportant financièrement les artistes qui se produisent à l’extérieur du pays, et d’autres programmes du ministère du Patrimoine, qui ont provoqué un véritable tollé. Les conservateurs ont notamment annoncé la fin du Programme national de formation dans le secteur du film et de la vidéo, ainsi que du Fonds des réseaux de recherche sur les nouveaux médias au terme de la présente année fiscale. Il a été dit que le gouvernement se cache derrière des prétextes d’économie budgétaire pour justifier son couperet dans la culture, alors qu’en réalité, cela aurait plutôt rapport avec la mentalité gouvernementale.

La députée fédérale de Trois-Rivières Paule Brunelle (Bloc Québécois) a déclaré: «Ces décisions démontrent le peu d’importance accordé par le gouvernement Harper à la culture et à l’identité québécoise.» Martin Lessard, dans «L’INIS et la SAT amputés!» a souligné: «Le gouvernement en place à Ottawa coupe deux autres programmes et pénalise l'industrie montréalaise. Et il applique la règle numéro 1 en relation publique: toujours lâcher une mauvaise nouvelle l'été

Maintenant, c’est au tour du chef du Bloc Québécois, Gilles Duceppe, de «juger que le premier ministre Stephen Harper se comporte en Big Brother»:
Gilles Duceppe veut donner de Stephen Harper l'image d'un premier ministre aux allures de «Big Brother», qui se positionne chaque jour davantage à la droite de l'échiquier politique.

À côté de lui, même les républicains de Georges W. Bush, aux États-Unis, paraissent désormais plus à gauche, selon le chef du Bloc québécois.

«Le vieux fond réformiste est remonté à la surface», a fait valoir M. Duceppe hier, lors d'un point de presse, en marge d'une allocution prononcée à Québec, dans le cadre de la Conférence des peuples de la langue française.

Selon lui, plus le temps passe et plus le gouvernement fédéral tend à adopter des politiques et des lois fondées sur des valeurs hyper conservatrices, rigides et autoritaires. «Je ne veux pas vivre dans une société où Harper serait le Big Brother», a-t-il ajouté, jugeant le portrait actuel «inquiétant, très inquiétant».

Selon lui, le genre de politiques mises de l'avant par les conservateurs depuis quelque temps, «on retrouve cela à la droite du Parti républicain, aux États-Unis».

Comme chef d'un gouvernement minoritaire, M. Harper fait preuve de plus de rigidité que son prédécesseur, Paul Martin, selon lui.
Nous n’attendons malheureusement pas de publication prochaine d’un volumineux rapport de recherche scientifique sur les préparatifs pandémiques au Canada (ce qui serait accueilli avec joie par notre communauté virtuelle), mais nous savons par intuition et par comparaison avec d’autres nations que le Canada est le moins bien préparé parmi les pays développés à faire face à une pandémie d’influenza. C'est ce qu'a déclaré dernièrement Amir Attaran, chaire en recherche canadienne en droit, santé des populations et politiques de développement globales, à l'Université d'Ottawa.

Le manque de projets et d’intérêt pour les préparatifs pandémiques de la part du gouvernement Harper ont-ils quelque chose à voir avec l’attitude de Big Brother du premier ministre Stephen Harper? En tout cas, les «valeurs hyper conservatrices, rigides et autoritaires» ne vont pas de pair, à mon avis, avec l’esprit de planification de pandémie, où des approches novatrices et sortant de l’ordinaire sont de mise pour tenter de trouver des solutions à une éventuelle crise de santé publique. Par ailleurs, le fait que notre système actuel et notre infrastructure de santé publique, et la totalité de notre planète d’ailleurs, n’ont jamais encore traversé de pandémie, ne se conjuguent pas bien avec des «valeurs hyper conservatrices, rigides et autoritaires». Il nous faudrait plutôt de la créativité, de l’intuition, accorder de la confiance et des responsabilités à la population, marcher sur des terrains inconnus, agir en pionniers et franchir de nouvelles frontières.

L'attitude ultra conservatrice canadienne de préparatifs pandémiques contraste de manière drastique avec celle des États-Unis. Le ministre de la Santé et des Services sociaux des États-Unis, Mike Leavitt, prononçait dernièrement le discours d'ouverture d'une conférence portant sur la blogosphère de la santé et son impact sur les politiques de santé publique. [C'est pas demain la veille que vous serez invités à assister à un pareil événement au Canada, j'en ai l'impression!]

Le ministre, qui édite lui-même un blogue depuis plus d'un an, et qui semble démontrer un profond respect pour les blogueurs et les communautés virtuelles (médias sociaux) se développant dans son pays, a conclu son discours en disant qu'en observant
la capacité des politiques publiques à communiquer et à faire des expériences [dans le domaine de la blogosphère de la santé], il avait identifié trois façons de composer avec le changement: 1) aller avec la vague, suivre le pas des nouveautés; 2) accepter de survivre; et 3) se positionner comme un leader. Il me semble que cela ne cadre pas tellement avec des valeurs ultra conservatrices... Est-il possible d'être à la fois un leader et de raisonner en conservateur? La pédale à freins, plutôt que celle de la vitesse de l'innovation et du développement des préparatifs pandémiques, semble donc être notre lot, au Canada.

J’imagine mal comment l’administration présente, avec ce qu’on entend dire à son sujet dans les médias, pourrait arriver à composer avec ces valeurs qui devraient s'appliquer au domaine des préparatifs pandémiques, qui me semblent en profonde contradiction avec la mentalité des hauts dirigeants de notre pays. Cela a sans doute une considérable incidence sur le fait que nous manquons de préparatifs.

Marcel Blanchet. Photo source

J’ai une théorie personnelle, que les valeurs véhiculées par l’administration Harper, exercent une très mauvaise influence sur le palier gouvernemental suivant, c'est-à-dire les administrations provinciales. Vous avez peut-être remarqué la manière dont Marcel Blanchet, directeur général des élections du Québec, a annoncé le 23 juillet dernier qu’il songeait à «s’attaquer aux activités sur le web». «Le problème, ce sont les tiers, les gens ou les groupes qui ne sont pas autorisés par un agent officiel et qui décident d'utiliser Internet, depuis leur sous-sol, pour diffuser un message», a expliqué le porte-parole du DGE, Denis Dion. Le DGE se méfie donc des internautes créatifs...


Yves Pépin

Et il n'est malheureusement pas le seul à faire fi de la créativité des internautes au Québec. La manière spectaculaire dont Yves Pépin, directeur de la coordination de l’information et des mesures d’urgences de Services Québec, a envoyé promener la sphère du Flublogia et le site Zonegrippeaviaire, lui a mérité une nomination (de notre part) au Prix Supari d’excellence en santé. Nous avons utilisé l’humour pour démontrer notre indignation, en profitant de la création du Prix Supari pour dénoncer la situation, mais ce clin d’œil créatif n’a pas suffi à faire bouger le récalcitrant M. Pépin.

Yves Pépin a donc démontré, par son refus de composer avec les communautés virtuelles, qu’il partage sans doute lui aussi des «valeurs hyper conservatrices, rigides et autoritaires». Le document «Les médias sociaux et la communication du risque» est un exemple de cette mentalité. Plutôt que de tenter de trouver des façons de collaborer avec les communautés virtuelles, M. Pépin et son équipe ont rejeté toute collaboration probable en étudiant uniquement les possibilités d'intégration d'applications du web 2.0 dans un site gouvernemental existant, et sur la base que le milieu manquerait de «crédibilité» et de «maturité». Le fait qu’il ne reste, en dernier recours, que la possibilité d’utiliser la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics pour obtenir de l’information, en dit long sur le contrôle excessif qui s’exerce actuellement.

Il a été dit par Agoravox que les médias sociaux consisteront en la 3e phase de développement du web, soit de 2008 à 2012. En bon esprit d'ultra conservateur, le gouvernement du Québec va-t-il attendre après 2012 pour reconnaître la sphère du Flublogia et la communauté virtuelle de Zonegrippeaviaire? Agoravox a souligné également que les médias sociaux sont le parfait exemple d’un changement majeur généré par les utilisateurs (de type Bottom-up) et non plus seulement initié par les structures en place (de type Top-down). Gros problème en perspective, car la totalité de la planification de pandémie au Canada et au Québec est basée sur un système de type Top-down. Pas étonnant que nos préoccupations de bottomupniens [je viens d'inventer le mot] n'arrivent pas à être digérées par l'administration gouvernementale! C'est un peu comme si le feu et l'eau se rencontraient. Ces deux éléments ne cohabitent pas tellement ensemble. Nous n'avons pas fini de nous gratter le crâne et de contempler la situation avec perplexité, j'en ai bien l'impression...

Comment pouvons-nous contourner les valeurs véhiculées par l’administration Harper et leurs répercussions sur l’ensemble des autres administrations gouvernementales du Canada, et arriver à développer un contexte favorable à l’amélioration des préparatifs pandémiques au pays? Oh là là! Voilà une question à cent mille dollars que ma cervelle, à elle seule, se désespère pour trouver des solutions! Mais en collectivité, à force d’en parler et de faire connaître nos préoccupations, peut-être arriverons-nous à faire évoluer le processus de planification de pandémie au Canada??? Cela ne coûte rien de rêver...

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