Blogue de Lyne Robichaud

18 novembre 2008

Les stratégies de communication

Paru le 29 octobre 2007 dans la Gazette de Zonegrippeaviaire.com

La semaine dernière, j'ai fait imprimer sur papier et relier le Plan de communication du gouvernement du Québec en cas de pandémie d'influenza afin de pouvoir le lire. À l'écran, je trouve que les longs documents en format PDF sont difficiles à consulter. Peut-être aussi que cela me rassure de tenir ce plan de communication entre mes mains. On pourrait être porté à croire qu'avec un plan de communication, alors tout ira comme sur des roulettes en situation d'urgence, et que la communication des messages s'effectuera avec cohérence et efficacité.

Le document a été annoncé dans le site Pandémie Québec le 15 octobre dernier. À ma connaissance, il n'y a pas eu de conférence de presse convoquée pour annoncer le dévoilement de ce plan, ni de communiqué de presse rédigé pour présenter la stratégie de communication retenue et les moyens correspondant aux objectifs de communication qui seront mis en oeuvre. La publication de ce document semble être passée totalement inaperçue.

Ces derniers jours, je remarque que plusieurs auteurs questionnent les stratégies de communication des décideurs.

Les gens ne sont pas dupes et ils comprennent que les messages qu'ils reçoivent ne collent pas avec la réalité qu'ils découvrent.

On pourrait croire que la stratégie du "Nous sommes prêts" a fait son temps, car elle est employée à répétition. Pourtant, elle fonctionne encore à merveille auprès du grand public. Alors pourquoi s'en passer? Le bloggeur floridien Fla_Medic la remet en question. Il a déclaré aujourd'hui, dans son article The role of optimism in pandemic planning: "Nous avons besoin d'honnêteté, et non pas de faux optimisme. Croyez-le ou non, les gens peuvent encaisser la vérité. Ce sont les mensonges qu'ils ne peuvent supporter." (ma traduction)

Monotreme qualifie de "Keep-the-public-in-the-dark" (maintenir la population dans la noirceur) la stratégie mondiale des communications appliquée à ce jour et il conclut qu'il est temps de la réviser, car elle n'a pas servi l'intérêt du public. (The Last Taboo - A Pandemic with a High Kill Rate)

Mis à part les stratégies visant à maintenir les publics dans l'ignorance, il existe aussi des stratégies visant à censurer la vérité en ce qui concerne la grippe aviaire. Un article de l'Irrawaddy indique que le gouvernement militaire de Birmanie a censuré les médias en leur interdisant de publier la nouvelle d'une flambée de grippe aviaire confirmée le 20 octobre dernier.

Dans sa stratégie de "top-down", le gouvernement du Québec laisse-t-il de la place à la participation du public?

Le Plan de communication du Québec mentionne qu'au cours des mois prochains, il y aura un "développement continu du site officiel pandémie, notamment vers un surcroît d'interactivité" (page 40). Faut-il interpréter le mot "interactivité" dans le sens de plus d'hyperliens pointant vers plus d'information, plutôt qu'interaction avec le grand public?

On trouve en page 8 du Plan de communication du Québec une énumération de questions (dans un encadré) que pourraient se poser les Québécois advenant une pandémie. Les questions, regroupées en 10 secteurs, sont pertinentes. Toutefois, la liste semble incomplète et nécessiterait l'ajout de centaines d'autres questions - toutes ces interrogations qui nous traversent l'esprit en tentant d'imaginer ce que sera une pandémie et quels en seront les impacts dans toutes les sphères de nos existences. Bien entendu, les questions les plus alarmantes n'ont pas été mentionnées. Cet encadré m'apparaît mal positionné dans le document, car l'argumentaire du plan n'y fait pas référence. On est porté à tourner et retourner les pages pour vérifier si l'on n'a pas loupé un paragraphe explicatif.

Je trouve dommage que le grand public n'ait pas été invité à commenter cette partie du plan - la plus intéressante pour les citoyens, à mon point de vue - ainsi qu'alimenter la liste en y ajoutant d'autres questions. Cela aurait pu être une excellente manière de sensibiliser les gens à l'éventualité d'une pandémie et les faire réfléchir sur l'état de leurs préparatifs individuels.

Le gouvernement a loupé une belle occasion de consulter la population. Il n'aurait pas été très compliqué de créer une section "interactive" dans le site de Pandémie Québec pour réaliser ce moyen de communication.

Si le gouvernement a laissé filer sa chance, nous pas. Vous êtes donc invité(e)s à lister toutes vos questions dès aujourd'hui dans le fil de discussion intitulé Pandémie - Questions des citoyens de Zonegrippeaviaire.com

Mon livre de chevet des derniers jours étant "The Wisdom of Crowds" (La sagesse des foules) du columniste du NewYorker James Surowiecki, je ne peux m'empêcher d'imaginer quel avancement des préparatifs pourraient être atteints si les décideurs en venaient prochainement à intégrer la participation du grand public à leur processus d'élaboration des mesures d'urgence en cas de pandémie.

Surowiecki indique dans son livre: "There's no real evidence that one can become expert in something as broad as "decision making" or "policy" or "strategy". But forecasting an uncertain future and deciding the best course of action in the face of that future are much less likely to do so. A large group of diverse individuals will come up with better and more robust forecasts and make more intelligent decisions than even the most skilled decision maker". In part because individual judgment is not accurate enough or consistent enough, cognitive diversity is essential to good decision making."

... signifiant grosso modo que rien ne nous indique qu'une personne peut prétendre se transformer en expert dans un domaine aussi vaste que la gouverne ou la stratégie. Tenter de prédire un futur incertain et décider des meilleures actions à entreprendre dans l'éventualité d'une situation d'urgence est encore moins probable. D'un large groupe composé d'individus de tous genres émergera des prédictions plus solides et plus éclairées, et produira des décisions plus intelligentes que celles des meilleurs stratèges et décideurs. Cela s'explique en partie parce que le jugement individuel n'est pas assez précis et cohérent, et que la diversité est essentielle à la bonne prise de décisions.

C'est dans cette perspective que j'ai mis sur pied le site Zonegrippeaviaire.com, pour sensibiliser les gens à la possibilité d'une pandémie.

Chaque citoyen devrait être impliqué - devrait s'impliquer - dans le branle-bas de combat en vue de la pandémie. En nourrissant le débat public sur une pandémie de grippe aviaire, chacun contribuerait à humaniser la pandémie et nous familiariserait avec des problèmes de société qu’il est préférable de regarder en face, afin de nous éviter de sombrer dans la peur, l’attitude la plus néfaste au traitement de toute pandémie. L’ignorance et l’indifférence face au danger n’empêcheront pas la population de trembler de peur. Il faut arriver à crever la bulle protectrice qui assure la double fausse protection des décideurs et de la population!

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