Blogue de Lyne Robichaud

18 novembre 2008

Profitons de l'accalmie pour amorcer une réflexion

Paru le 30 décembre 2007 dans la Gazette de Zonegrippeaviaire.com

Ces derniers jours, j'ai été projetée dans une sorte de frénésie tourbillonnante, haletant derrière le Dr Henry Niman, qui multipliait les commentaires sur son site Recombinomics. Traduire les écrits de cet ingénieur en biologie, lorsqu'on n'est pas soi-même scientifique, relève de l'exploit. Alors imaginez lorsque la cadence est décuplée et qu'il publie une douzaine de communiqués par jour, cela se transforme en un marathon plutôt intense.

Vous avez sans doute remarqué qu'il a commencé à indiquer les heures de parution de ses publications le 26 décembre à 14h19...

Après que tous les arguments aient été lancés, les uns après les autres, que tous les mythes et fausses idées aient été dénoncés et démolis à coup de plus d'arguments, le silence se fait entendre dans l'arène des nouvelles, où il n'y a pas si longtemps se déroulait un combat des titans.

Profitons de l'acalmie pour amorcer des réflexions sur les mesures de préparation accrues qui devraient être entreprises par les pays.

Je constate que je ne suis pas la seule à réfléchir et remercie Druide pour son message précédent. Je partage son opinion et ne fait qu'ajouter ici à ce qui a été dit précédemment par Druide.

Implications économiques et sociales

Le 29 novembre 2007, le Dr David Nabarro, coordonnateur principal du système des Nations-Unies pour la grippe aviaire, a déclaré lors d'une conférence de presse:
«Nous avons une préoccupation majeure sur la capacité réelle des pays à activer leurs plans en cas de pandémie, sur leur capacité à impliquer d’autres secteurs que les services de santé car une pandémie aurait des implications économiques et sociales».
Si je comprends bien, ceci signifie qu'il faudrait pousser la réflexion sur ce qui pourrait se passer au niveau économique et social, et tenter d'articuler des plans de lutte additionnels - en symbiose avec ceux déjà conçus pour le secteur de la santé - pour répondre aux problématiques économiques et sociales.

En suivant de près les échanges et les discussions des observateurs de la grippe aviaire dans les meilleurs sites Internet aux États-Unis (notamment Recombinomics édité par Henry Niman, Pandemic Flu Information édité par Monotreme, Effect Measure édité par revere, Avian Flu Diary édité par Fla_Medic, et le blogue de Scott McPherson), on ne peut faire autrement que de noter qu'il émerge un consensus sur la notion de Phase IV d'alerte pandémique. Plusieurs considèrent que nous sommes en Phase VI, et que cela fait déjà même très longtemps que nous sommes en Phase IV. D'autres ne comprennent pas comment cela se fait que l'OMS n'a pas encore levé le niveau d'alerte d'un cran. Mais ceci est une autre histoire...

Revenons à nos moutons. La Phase IV déclencherait un mouvement vers une plus grande préparation en vue de la pandémie. J'ai trouvé que les commentaires de Monotreme du 28 décembre dernier (22h06) étaient des plus percutants et proposaient des exemples concrets de ce que pourraient signifier les préparatifs en Phase IV:
«Une augmentation du niveau d’alerte en Phase 4 donnerait des munitions à ceux d’entre nous qui poussent pour que se déclenchent des étapes plus concrètes de préparatifs. Il y a plusieurs avantages à augmenter la préparation qui en découleraient même si une pandémie ne se matérialise jamais. Je peux vous dresser la liste de ces avantages si vous le désirez. Pour être bref, consolider le réseau, stocker des vivres, de l’essence et les médicaments critiques feraient en sorte que chaque pays deviendrait plus résiliant pour faire face à toute rupture de l’ordre global (périlleux) actuel. Encourager les individus à se préparer à l’auto-suffisance améliorerait leur santé personnelle et leur sauverait de l’argent. »
Ce qui est intéressant dans ces commentaires, c'est la notion de stockage de "vivres, d'essence et de médicaments critiques" par "chaque pays". Jusqu'à présent, le stockage ne concernait que le Tamiflu et l'équipement de protection (exemple masques). Il n'a jamais été question de "vivres, d'essence et de médicaments critiques", à moins que l'armée ou quelque comité secret se soit déjà penché là-dessus et ait stocké dans un endroit secret des provisions secrètes. Il n'y aurait rien d'étonnant là-dedans, puisque le stock de Tamiflu au Québec a justement été placé dans un "endroit secret", pour plus de sécurité. Il y a aussi des tas d'allusion dans le plan de lutte québécois sur la sécurité publique, alors on peut lire entre les lignes que les autorités ont prévu que l'ordre social sera probablement perturbé au cours d'une pandémie et des mesures ont été planifiées à cet effet.

Il ne serait pas étonnant que les autorités n'aient rien prévu du tout concernant le stockage de "vivres, d'essence et de médicaments critiques". Si l'on se fie à la déclaration du Dr David Nabarro, il y a de quoi être inquiet en contemplant l'idée de la "capacité réelle des pays à activer leurs plans de pandémie". C'est tout à fait compréhensible d'ailleurs. Aucun d'entre nous n'a d'expérience en déroulement de pandémie; nous n'en avons jamais traversé. Alors c'est tout à fait normal de s'interroger sur notre capacité "réelle" d'activation et de mise en oeuvre de mesures d'urgence en temps de pandémie, une pandémie qui sera probablement très sévère, avec un taux de mortalité très élevé - beaucoup plus que celui de la pandémie de grippe espagnole. La pandémie qui s'en vient a souvent été comparée à un ouragan de force Katrina frappant chaque ville du monde.

Pour ce qui est des "vivres, de l'essence et des médicaments critiques" stockés par "chaque pays", de tout ce que j'ai lu sur la grippe aviaire, je ne pense pas qu'il y a eu beaucoup de réflexion sur la logistique de cette notion. Je vois passer des informations de temps à autre sur le stockage des vivres, mais je n'arrive pas encore à visualiser la logistique pouvant être déployée pour arriver à matérialiser ces notions.

Par exemple, j'ai lu que des citoyens de Ford's Colony en Virginie étudiaient la possibilité de s'isoler en stockant suffisamment de vivres pour suffire aux besoins des résidents. À quel endroit, dans quel type de bâtiment, qui en aura la gestion, comment les vivres seront-ils distribués et quels types de vivres? Etc. La liste de questions est longue et reste sans réponse.

Druide a amorcé une réflexion très pratico-pratique en essayant de chiffrer combien coûterait une telle opération. Se référer à l'étude de l'Université de Sydney est un bon début. Lorsque j'ai lu cette étude, je me suis demandé qu'en feraient les autorités et les décideurs. L'étude recommande aux individus et aux familles de se stocker, afin de pouvoir tenir le coup pendant trois mois, le temps requis pour que le gouvernement australien intervienne et prenne la relève par la suite, en déployant sa réserve de stocks de vivres.

J'ai trouvé que c'était une bien belle idée, mais bien entendu, ça se passe ailleurs, en Australie, et pas au Québec. L'Australie et les États-Unis sont les seuls deux pays cités en exemple par David Nabarro comme étant un peu plus avancés que les autres dans leurs préparatifs pandémique. Avons-nous l'équivalent au Québec, au Canada, en France, en Belgique, en Suisse, etc.? Il ne faudrait pas trop se bercer d'illusions et ne pas risquer sa peau, en misant sur l'espérance que cette mesure soit un jour implémentée dans notre région.

Aujourd'hui, alors que je bûchais sur l'édition d'une difficile traduction réalisée par Gaby d'un article sur les "Cygnes noirs" et grippe aviaire: De pandémies à la politique, les difficultés d'évaluation du danger pour l'année à venir, le vocabulaire et les expressions utilisées par l'auteur du Times Online, en pur anglais d'Angleterre, m'ont fait sourire. Les métaphores employées dans cet article sont vraiment incroyables et on peut ressentir toute la discrétion propre à la culture anglaise, dans l'image de la paire d'ailes de fabrication artisanale qu'il serait des plus sages de garder à portée de la main quand viendra le moment de sauter du haut de la falaise. L'article du Times Online, toujours dans la métaphore, décrit ceux qui sautent de la falaise et qui se fabriquent des ailes APRÈS avoir fait le saut.

Ce qui est une belle image de ce qui pourrait arriver à ceux qui n'auront pas prévu de préparatifs avant l'arrivée de la pandémie...

J'aimerais bien croire que nous disposons de suffisamment de temps pour mettre en route des préparatifs supplémentaires. Il faut du temps - des mois, voire des années - pour amorcer des réflexions, s'entendre sur les mesures à implémenter, et passer ensuite à l'action. Le virus de la grippe aviare ne prend pas de vacances pendant la période des Fêtes, il ne fera pas de pause pour nous permettre de compléter nos préparatifs et il n'attendra pas que nous nous décidions enfin à nous prendre en main et "qu'il y ait une pleine solidarité entre les pays pour se préparer à une pandémie et un partage des responsabilités quand la pandémie démarrera", comme l'a souhaité David Nabarro.

Avons-nous tous notre paire d'ailes? Elles pourraient s'avérer fort utiles un jour...

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