Paru le dimanche, 4 mai 2008, dans la Gazette de Zonegrippeaviaire.com
«Ne plus agir, ne rien prévoir, fuir la fragilité des affaires humaines, telle est notre sagesse. Nous sommes donc passés maîtres dans l’art de n’être plus préoccupé par ce qui a lieu chez les autres.» (Pascal Bruckner, La mélancolique démocratie, 1990)Cette philosophie devra pourtant être brisée si nous souhaitons passer à travers une pandémie.
La marche est haute. Par où commencer?
Tout d’abord, comme le suggère l’excellent article «Nécessité de se préparer» de Get Pandemic Ready (traduit par sugarquill), les gouvernements «efficaces» (notez l’emploi de cet adjectif spécifique) doivent commencer par donner l’exemple. «Les municipalités et les gouvernements des États doivent montrer l'exemple en informant le public de ce qui les menace, en éduquant les citoyens au sujet des possibilités, et en les encourageant à se préparer à leur manière.»
Se doter d’une stratégie de communication couvrant tous les aspects de la problématique des préparatifs pandémiques, déployer dans le temps un plan de communication, et multiplier les actions de sensibilisation. Émettre des directives claires aux citoyens en leur montrant le but à atteindre, tout en annonçant des mesures gouvernementales qui renforceront la mitigation des communautés et donneront l’exemple aux citoyens. Cesser de tout enrober dans le sucre, et parler des vraies affaires.
Les communications seront donc la pierre angulaire de la prochaine ronde des préparatifs pandémiques. L’Organisation mondiale de la santé reconnaît l’importance de ce rôle et travaille présentement à l’élaboration de nouvelles directives à cet effet. Les communications constituent notre seule véritable arme puissante et efficace contre une pandémie, étant donné que nous ne savons pas si les antiviraux et la piste de solution des vaccins auront un quelconque effet. D’excellentes communications stratégiques pousseront des millions de citoyens à se préparer à faire face à une pandémie et des communautés à renforcer leur autonomie. Par conséquent, les individus qui occupent des postes de direction des communications de mesures d’urgence au sein d’administrations gouvernementales seront donc amenés à jouer un rôle déterminant d’ici au déclenchement d’une pandémie, car tout dépendra de leur habileté à rédiger des stratégies de communication, et à faire passer des messages et des directives aux citoyens. Les communications donneront l’impulsion à toute une société de se préparer. Les gouvernements «efficaces» qui comprendront cela accorderont des ressources supplémentaires considérables aux équipes de communications de mesures d’urgence.
Un paragraphe de l’article mentionné ci-dessus de Get Pandemic Ready résume admirablement ce qui nous attend:
«En outre, la maladie, la mort et l'absentéisme associés à une grave pandémie auront des conséquences secondaires économiques et sociales dévastatrices. La production et la livraison de la nourriture, de l'eau, du carburant et des denrées quotidiennes pourraient être interrompues pendant des semaines, voire des mois à la fois, ce qui entraînera des pénuries. Les services publics tels que la distribution de l'eau, du gaz naturel, de l’électricité et de la téléphonie pourraient faire temporairement défaut. Les écoles, les églises, les magasins et les entreprises pourraient fermer. Les hôpitaux et les autres établissements de santé, surchargés de malades, pourraient être dans l’incapacité de servir tous ceux qui en ont besoin. Ces effets de cascade auront une incidence considérable sur l'économie, la sécurité nationale, le fonctionnement élémentaire de la société, et votre capacité de survivre dans votre propre maison, même si vous n’attrapez pas la grippe pandémique.»Heureusement, il est survenu ces derniers jours plusieurs éléments en faveur du credo de la sphère du Flublogia, qui pourraient inciter les administrations gouvernementales à pousser plus à l’avant leur planification:
> L’Organisation mondiale de la santé se réunit du 6 au 9 mai pour entamer une révision de ses directives de planification en vue d’une pandémie (qui datent de 2005). À défaut de se situer en amont des recommandations de l’OMS, les nations qui auront quelque peu stagné dans leurs préparatifs depuis 2005 n’auront d’autre choix que de se mettre à jour pour se maintenir au niveau prescrit par l’agence parapluie.Nous observons par ailleurs d’autres éléments alarmants, beaucoup moins positifs, qui risquent de nous prendre de cours si nous ne nous préparons pas en conséquence:
> La ville de Toronto s’est acheté du Tamiflu (une commande pouvant aller jusqu’à 5 millions de dollars), un geste courageux et déterminant, puisqu’il s’agit de la première municipalité au Canada à prendre cette disposition de protection de ses employés.
> Les États-Unis ont commandé un vaccin pré-pandémique correspondant à la clade 2.2 de la grippe aviaire.
> La crise céréalière et alimentaire mondiale s’aggrave et des effets se font ressentir même jusqu’en Amérique du Nord, avec notamment des pénuries de riz. Le mythe des préparatifs juste-à-temps a été détruit, nous a fait remarquer Michael Coston.Longtemps, nous avons ignoré la menace de la grippe aviaire. Celle-ci nous rattrape. Il n’est pas trop tard pour nous mettre à l’œuvre et déployer un branle-bas de combat gigantesque avant que la pandémie ne survienne. Nous devons mettre les bouchées doubles - et même triples - et pousser sur l’artillerie des communications.
> Le H5N1 est aux portes de l’Amérique du Nord, et il est probable qu’il s’est déjà introduit à l’heure actuelle par les Îles Aléoutiennes (Alaska), suite aux innombrables foyers d’infection battant tous les records survenus en Corée du Sud depuis le 1er avril dernier, puis au nord-est du Japon et au sud-est de la Russie.
Ce travail sera colossal et demandera des efforts inouïs d’imagination et de concertation. Notre philosophie insouciante «ne pas agir et ne rien prévoir» doit être abandonnée, pour faire place à des préparatifs de guerre – oui, le mot n’est pas trop fort – si nous voulons avoir une chance de ne pas tout faire s’écrouler et retomber en arrière. Quelle administration gouvernementale souhaiterait passer à l’histoire pour avoir été responsable de faire reculer de plusieurs siècles une société, par faute d’un manque de préparatifs? Nous en sommes rendus là. Des choix importants devront être faits par les décideurs.
Génie sociologue et philosophe, visionnaire, Pascal Bruckner termine son essai «La mélancolique démocratie» avec le paragraphe suivant, qui se conjugue admirablement bien avec le contexte actuel de la menace pandémique: «Ainsi, allons-nous peut-être apprendre que la démocratie peut mourir de réussir, courir à la ruine sous le masque souriant du succès. Pour éviter que son accomplissement ne soit contemporain de sa faillite, il ne nous reste plus qu’à lui souhaiter beaucoup de périls qui la revitalisent. Mais, dans les deux cas de l’usure par le triomphe ou du sursaut par le désastre, nous n’échapperons pas aux temps de fer.»
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