Blogue de Lyne Robichaud

18 novembre 2008

La perception du monde, de Galilée à nos jours

Paru le lundi, 21 avril 2008, dans la Gazette de Zonegrippeaviaire.com


Le monde selon Hécatée, une représentation circulaire
et non sphérique de la terre. Source image

Dans l’article traduit «Le maillon le plus faible», Michael Coston fait l’éloge d’une minorité de gouvernements locaux américains, qui ont travaillé à mettre au point un plan de préparation à une pandémie d’influenza. Par contre, il déplore que malgré des incitations de la part du gouvernement fédéral (américain), le message ne se soit pas rendu jusqu’aux localités, aux petites entreprises, et à la population en général, il va de soi.

«Une chaîne est seulement aussi forte que son maillon le plus faible, et en ce moment, l’état de préparation local n’est pas fort». Si on se rapporte à notre contexte, quel est l’état actuel de notre chaîne? Faible, moyennement forte ou dangereusement faible?

Pour le savoir, il faudrait être informé sur l’état de préparation des petites entreprises et des localités de notre province de notre pays. Ces informations, non seulement contribueraient à alimenter le moral des troupes, mais aussi par le fait même à motiver les gens qui ne sont pas encore préparés à l’éventualité d’une pandémie de grippe aviaire. Avec les regroupements de municipalités, effectués depuis 2002 au Québec, le nombre de municipalités est passé d’un peu plus de 1300 à près de 1140. De ce millier de municipalités, combien ont amorcé une véritable réflexion sur la pandémie? Le gouvernement québécois a publié en février 2007 un «Guide pour l’élaboration du Plan particulier d’intervention en cas de pandémie d’influenza à l’intention des municipalités». Toutefois, nous disposons de peu de données sur les résultats de ce Guide et combien de municipalités ont amorcé une réflexion et où en sont-elles rendues dans leur cheminement?

À force de ramer à contre-courant (des gens qui ne se préparent pas, de ceux qui sont indifférents à la question d’une pandémie et de ceux qui n’y croient pas), on finit par sympathiser avec les scientifiques dont les avancées et des découvertes ont mis du temps avant d’être reconnues. Prenez l’exemple de Galilée, qui a émis la théorie que la Terre est ronde en 1637, dans son ouvrage intitulé «Discours et démonstrations mathématiques concernant deux sciences nouvelles».

Il fallut attendre en 1822 pour que l’Église catholique admette que la Terre tourne autour du Soleil. Et il fallut attendre jusqu’en 1992 pour que l’Église réhabilite Galilée et reconnaisse sa contribution à la science.

Il s’est écoulé 184 ans, avant que l’Église admette que la terre tourne autour du soleil et 354 ans avant que l’Église (encore) reconnaisse que Galilée avait raison. Il s’est écoulé tout ce temps, avant d’admettre une telle évidence.

Mais nous sommes en 2008, et beaucoup se plaisent à penser que nous sommes très évolués et que nous avons beaucoup progressé depuis la Renaissance. Si rien n’avait changé, il faudrait attendre jusqu’en 2192 avant d’admettre qu’il se pourrait qu’une pandémie de grippe aviaire se produise. De combien d’années avons-nous encore besoin avant que ne soit reconnus ceux et celles qui auront répandu la nouvelle avant que la pandémie se produise?

Comment est-il possible que nous ayons généré autant de désintéressement?

Le sociologue Pascal Bruckner, dans son essai «La mélancolique démocratie», a écrit il y a de cela 18 ans (mais cela est toujours d’actualité): «La vérité, c’est que les égoïsmes catégoriels se déchaînent comme jamais dans une modération en effet quasi générale et une indifférence de chacun au sort de tous. La vérité, c’est que notre société s’est abonnée au conte de fées et ne veut plus entendre parler du négatif. Qu’est-ce alors que la société? La manière dont les citoyens sont séparés à l’intérieur d’un même cadre et se dérobent de la même façon à la participation au bien commun.» Ce qui porte à croire que pour certains, la représentation personnelle du monde est circulaire, c'est-à-dire de la taille de leur nombril.

Bruckner indique également dans la préface du même ouvrage: «La politique est «impossible», mais l’abandon de la politique est dramatique: nous n’avons pas fini d’osciller entre ces deux affirmations. À nous de réagir avant que les dommages commis ne soient devenus irréparables, à nous de prouver que le citoyen jouisseur, infantile, égoïste, est encore capable de beaux sursauts.»

Il y aurait donc encore lieu d’espérer que tout n’est pas perdu. Les pandémies, crises majeures, transforment les sociétés.

Aujourd’hui, nous entendons parler d’une nouvelle encourageante pour les citoyens canadiens. Une étude effectuée par trois chercheurs (AB Gumel, M Nuňo et G Chowell), publiée en mars-avril 2008 dans le Journal of the Association of Medical Microbiology and Infectious disease Canada, intitulée «Une évaluation mathématique du plan canadien de préparation à la pandémie d’influenza» (Volume 19, Issue 2: 185,192), a révélé ce que la majorité d’entre nous, membres du Flublogia, avons déjà suspecté. L’étude indique notamment que «le nombre de cas, de décès et d’hospitalisations évalués dans le plan canadien pourraient être sous-estimés.» Par ailleurs, l’étude conclut que «les évaluations du fardeau d’une pandémie d’influenza indiquées dans le plan de préparation à une pandémie pourraient être sous-estimées et que le Canada doit adopter des interventions non pharmaceutiques pour compléter ce plan de préparation.»

Espérons que ces travaux scientifiques ne passeront pas inaperçus et que l’analyse des chercheurs sera accueillie favorablement par les autorités canadiennes. Espérons également que les états provinciaux qui se sont alignés sur les politiques canadiennes prendront également connaissance de cette analyse, étant donné que la plupart des préparatifs des provinces sont basé sur le modèle canadien, tout comme le sont les préparatifs des municipalités et des entreprises.

Si vous vous sentez parfois en manque de soutien et de reconnaissance, comme Galilée, face à votre entourage, au moins félicitez-vous d’avoir le courage de vos convictions, parce qu’elles sont appuyées sur des faits réels et scientifiques, incroyablement réels et malheureusement changeants au fur et à mesure que le virus mute. La consolation est mince, mais au moins, vous aurez fait votre possible pour aider vos proches et vos semblables. Vous tendrez vers le concept de «beau sursaut» de Bruckner. Il faut espérer qu’un nombre toujours croissant de gens sera réceptif – et que cela ne prendra pas 184 ans – non pas pour dorer vos efforts, mais pour tenter de limiter la souffrance en nous préparant à affronter la future pandémie.

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