Paru le dimanche, 6 avril 2008, dans la Gazette de Zonegrippeaviaire.com
Les journaux locaux du Québec abordent rarement la problématique d’une pandémie d’influenza. Quand cela se produit, nous pouvons nous réjouir qu’un média se penche sur le sujet. Toutefois, la manière dont l’information sort est parfois douteuse.
Nous avons eu droit ce week-end à deux articles publiés par La Seigneurie, un journal local édité à Boucherville, en Montérégie, une région située sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent, en banlieue de Montréal, métropole du Québec. Un de ces deux articles, «Pandémie de grippe: les municipalités se préparent au pire», a même été publié à la une de l’édition. Ce qui est absolument remarquable, et pour cela, je lève mon chapeau à l’éditeur et au chef de pupitre de ce média.
Lorsque des articles portant sur une pandémie d’influenza et la grippe aviaire sont publiés, s’ils contiennent des irrégularités qui nous font a priori grincer des dents, il y a plusieurs facteurs à considérer: s’agit-il d’une erreur journalistique; les propos ont-ils été mal cités ou mal compris; les porte-parole font-ils fausse route avec leurs déclarations; ou est-ce l’ensemble des mesures qui nécessiterait des ajustements? Il pourrait s’agir de toutes ces réponses…
Dans l’article signé par Marilyn Veillette, intitulé «Pandémie d’influenza: mythe ou réalité inévitable?», en premier lieu, le titre nous fait crier au secours, car on se demande comment le mot «mythe» a pu se retrouver là. Ce mot signifie «Représentation de faits réels déformés ou amplifiés par l’imagination collective. Pure construction de l’esprit». Félicitons plutôt le titreur de ce journal, dont la mission est de rédiger des titres à gros tirages. On se demande en effet ce que la notion de mythe vient faire dans la grippe aviaire, car les ouvrages officiels et scientifiques concernant une pandémie d’influenza soulignent qu’elle se déclenchera, mais personne ne peut prédire quand. On entend souvent l’expression anglophone «Not If But When».
À partir du cinquième paragraphe de l’article, les choses commencent à se gâter. «Sur les 2,6 millions de Québécois touchés, on estime que 8500 personnes pourraient décéder». La plupart s’en sortirait, mais plusieurs personnes seraient dans l’incapacité de travailler et devraient garder le lit durant plus de huit semaines.» Ces propos proviendraient apparemment de Hélène Gingras, porte-parole pour le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec. C’est la première fois que je lis que plusieurs personnes devront garder le lit pendant plus de huit semaines. C’est assez surprenant comme perspective, ne trouvez-vous pas? Surtout quand il s'agit d’influenza aviaire. Existe-t-il de la documentation officielle et scientifique à ce propos? Il semble exister peu de données sur l’état de santé des personnes qui par chance ont échappé à la mort, et qui ont récupéré d’une infection de grippe aviaire. Quelle est la durée de leur convalescence? Ont-elles subi des dommages graves à des organes internes, au cerveau, par exemple? Ont-elles été en mesure de reprendre leurs activités professionnelles? Nous aurions besoin d'informations de cette nature pour aiguillonner nos préparatifs pandémiques.
Les "huit semaines" mentionnées dans l’article ont peut-être été confondues (par qui?) avec le laps de temps prévu par les scientifiques pour la durée d’une vague de pandémie (on voit souvent 8 à 10 semaines). Si on se fie aux cas d’infection de H5N1 survenus dans le monde, il n'est pas question de "huit semaines". Peu de temps après l’exposition, la majorité des infections développent rapidement des symptômes tels que forte fièvre, problèmes respiratoires, toux, qui dégénèrent souvent en pneumonie. Les infections de H5N1 sont mortelles dans plus de 60 pour cent des cas, et le décès de la personne infectée survient dans la majorité des cas quelques jours après l’exposition au virus. La plupart des personnes infectées nécessitent des soins intensifs et ont besoin d’un respirateur. Certaines répondent au traitement de Tamiflu, mais nous n’avons aucune indication que les antiviraux seront efficaces s’ils sont administrés massivement à des populations entières, ou qu’ils auront un quelconque effet sur une nouvelle souche pandémique.
Autre citation désolante, selon Hélène Gingras: «Le ministère de la Santé est prêt. «On sait comment soigner une pandémie d’influenza car c’est une grippe. Ça se soigne avec des antiviraux. Nous avons déjà une réserve de 13 millions de doses.» Le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec est prêt… Bravo! Ce Ministère serait donc le seul sur la planète à être prêt. Difficile à avaler. Il n’existe pas une seule nation au monde actuellement «prête» à affronter une pandémie. Deux nations ont été nommées dernièrement par David Nabarro, coordonnateur de la grippe aviaire au Nations Unies, comme ayant pris une longueur d’avance dans leurs processus de préparation, et il s’agit des États-Unis et de l’Australie. Le Canada et le Québec n’ont pas été cités pour avoir fait preuve de telles prouesses. L’humanité commence à peine à effleurer la problématique mondiale d’une pandémie, et les mesures déployées jusqu’à présent se concentrent sur quelques éléments. Elles sont loin d’avoir fait le tour de toutes les implications et répercussions qu’aura une pandémie sur notre société. "Le monde reste insuffisamment préparé à faire face à une pandémie", a déclaré David Nabarro de l'ONU.
Par ailleurs, il serait sage de préciser que les antiviraux ne servent au plus qu’à atténuer les symptômes de l’influenza, et qu’il n’existe aucun médicament pouvant guérir l’influenza aviaire, encore moins lorsqu’il s’agit du H5N1 mortel, extrêmement virulent. Pour ce qui est du fameux vaccin tant espéré, il faudrait faire très attention de ne pas déposer tous nos œufs dans le même panier en espérant qu’un vaccin se matérialise au début d’une pandémie. Cela prendra des mois – peut-être même de très longs mois – avant qu’un vaccin soit enfin prêt. Par ailleurs, rien n’indique que notre capacité actuelle de production mondiale sera en mesure de fournir des vaccins dans les quantités que nous espérons. Nous produisons au maximum, de nos jours, environ 565 millions de vaccins trivalents par année. Pour une population mondiale de plus de 6 milliards d’habitants, faites un calcul rapide. Peut-être aurons-nous réussi à produire un vaccin dans les temps souhaités, et peut-être pas. Ne perdons surtout pas de vue que la grippe saisonnière et la grippe aviaire semblent être entrées cette année dans un processus d’évolution accéléré, et que les cibles du vaccin de la grippe saisonnière ont déraillé (en n’ayant pas vu venir la souche de Brisbane).
Il y a aussi le fait que cette année, la grippe saisonnière (H1N1) comporte une résistance très élevée au Tamiflu, un antiviral étant utilisé pour traiter la grippe aviaire (H5N1). En Norvège, les taux de résistance au Tamiflu observés s’élèvent à plus de 66%. Par ailleurs, la grippe aviaire (H5N1) s’est développée en plus de 10 sous-clades différentes, ce qui porte à croire que le design d’une cible de vaccins pourrait s’avérer un exercice difficile. Des co-infections pourraient faire muter constamment la nouvelle souche pandémique, provoquant de nombreuses vagues, et compliquer le travail de production d’un vaccin efficace. Il existe donc de nombreux éléments à prendre en considération quand vient le temps de lancer des promesses rassurantes de vaccins sauveurs de la population. De plus, rien ne nous indique que ces promesses se réaliseront dans les délais indiqués dans les plans de lutte des ministères et des agences; dans le cas du Québec, dans les trois mois suivant le déclenchement d’une pandémie, si on se fie à ce qui est inscrit dans les plans officiels.
Le discours véhiculé dans les articles publiés ce week-end par le média La Seigneurie est celui que nous entendons depuis deux ans. Même chanson, même message. Il serait temps d’accorder le refrain aux nouvelles réalités de la grippe aviaire. Depuis deux ans, de nombreux postulats, qui ont servi de fondement à l’élaboration de mesures, ont été réfutés par de nouvelles études scientifiques et par les nouvelles caractéristiques propres au virus H5N1 qui ont été découvertes en cours de route. Depuis deux ans, des nations se sont mises à planifier en fonction de plusieurs scénarios. Le scénario retenu par le gouvernement du Québec est le plus léger de tous, équivalent à un taux de mortalité de 0,3% - soit la pandémie de 1957. Des nations se sont mises à réfléchir au-delà de la question des antiviraux et des vaccins. Malgré beaucoup d'efforts déployés par les nations du monde entier - certaines beaucoup plus avancées que la nôtre dans leurs réflexions - il est prévu que les agences gouvernementales pourraient ne pas tenir long feu en temps de pandémie.
La question est de savoir de quelle manière nous allons traverser une telle crise. C’est pourquoi, si j’étais porte-parole d’une agence respectable, j’y réfléchirais avant d’avancer des mots lourds de sens et d’implication comme «Nous sommes prêts». Quand la population sera sensibilisée à l’influenza pandémique, y compris les étudiants et les enfants; quand les gens auront commencé à mettre en œuvre aux niveaux individuel et communautaire des plans de préparation, au même titre que les gouvernements et les agences gouvernementales; quand les entreprises, dans l'ensemble, se seront impliquées pour protéger la vie de leurs employés et assurer la continuité de leurs services, alors là, il sera peut-être temps de songer à faire des annonces plus prometteuses. Si toutefois nous avons le temps de nous préparer adéquatement avant que la future pandémie éclate.
Blogue de Lyne Robichaud
18 novembre 2008
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