"Que faisiez-vous au temps chaud? Dit-elle à cette emprunteuse"

Paru le samedi, 23 février 2008, dans la Gazette de Zonegrippeaviaire.com

Merci à sugarquill pour avoir initié et alimenté une discussion des plus intéressantes, qui concernait au départ des "contenants hermétiques fiables", et qui a rapidement progressé aux affaires plus graves, ces choses qui comptent vraiment pour nous.

Le sujet est "chaud" et j'en ai long à dire...

Avec l'allusion de la responsabilité envers d'autres membres de l'entourage qui ne se préparent pas - mais qu'on voit venir de loin - vous venez de mettre le doigt, sugarquill, sur ma plus grande problématique. C'est une question qui me remue constamment les méninges et le coeur, j'oscille entre les deux et ce combat se perpétue en moi depuis les premiers instants où j'ai commencé à me préparer. Et je n'ai toujours pas réussi à vaincre les obstacles qui pourraient m'aider à solutionner cette impasse.

C'est pourquoi je relis souvent "Aider ceux qui sont prêts à être aidés". J'essaie de me blinder, me préparer à voir des gens souffrir et même mourir dans mon entourage. Des gens que j'aime et que je n'ai pas encore réussi à convaincre de l'importance de se préparer à une pandémie.

Il y a des personnes qui de par nature sont "responsables", alors que d'autres sont plutôt du genre "dépendants". Ainsi sont faits les gens, le yin et le yang. Même avec notre grand coeur et nos incroyables dons d'organisatrice et de planificatrice, il faut se rendre à l'évidence que nous ne pourrons pas aider tout le monde. Il me faudrait un endroit du genre Manoir Richelieu - ou en restant plus modeste, une école de quartier, un sous-sol d'église, un motel - pour loger toutes les personnes que je voudrais pouvoir prendre sous mon aile en cas de pandémie. Ensuite, ça me prendrait quasiment un étage rien que pour stocker l'approvisionnement nécessaire pour nourrir ces gens. Puis il faudrait passer la journée à cuisiner pour cette communauté, soigner les malades, etc. Plusieurs passeraient leur temps à chialer et à se plaindre et ne lèveraient probablement pas le petit doigt pour m'aider. Je suis persuadée que ce scénario pourrait se transposer dans plusieurs familles. Ce ne sont pas toutes les familles qui sont ainsi, il y en a qui vivent dans l'entraide et l'harmonie, mais soyons honnêtes, notre style de vie contemporain nord-américain et notre mentalité individualiste a fait de nous des gens gâtés et disons-le, quelque peu égoïstes.

Ma massothérapeuthe, une femme vraiment incroyable, avec qui je peux discuter de long en large de ces questions, m'a fait remarquer que notre responsabilité en tant qu'individu se limite à notre personne, et s'il y a lieu sa progéniture. Bien entendu, on peut donner un coup de main à notre entourage, et ce serait vraiment l'idéal si nous pouvions développer des structures communautaires à l'échelle du voisinage et de quartier (comme l'a proposé dernièrement Fla_Medic dans "Les soins à domicile et leurs contraintes"), mais je pense qu'il faudrait dans ce cas choisir ses coéquipiers.

Les gouvernements pourraient grandement nous aider en endossant une politique de mitigation des communautés. Nous aurions moins de difficulté à informer les gens de notre entourage et à les convaincre de la nécessité de se préparer. Nous pourrions avoir accès à de l'aide (des ressources humaines et financières) pour constituer des réseaux d'entraide et de stockage de denrées à l'échelle de nos quartiers. Nous pourrions planifier qui d'entre nous s'occuperait des aînés et des personnes qui nécessitent des soins particuliers dans nos familles et nos quartiers. Nous pourrions nous équipper de radios pour pouvoir communiquer avec nos voisins, nous pourrions désigner qui d'entre nous transformerait sa maison en infirmerie, qui s'occuperait de la lessive, qui s'occuperait des repas, qui ferait le relais pour soigner les malades, qui se chargerait de la sécurité de notre communauté.

Ce genre de collaboration est-il possible avec des gens à qui on a répété des dizaines de fois qu'il faut se préparer, à qui on a donné toute l'information "tout mâchouillé d'avance", et qui n'ont rien fait depuis pour se préparer?

Et puis, il y a toujours la possibilité des obstacles de restriction de mouvements qui pourraient séparer des membres d'une même famille. Si, par exemple, plusieurs membres d'une même famille habitent sur des rives différentes du Saint-Laurent, il se pourrait que les ponts ferment, que les autoroutes soient barrées, que des quartiers et des villes soient mis en quarantaine. D'autre part, s'il n'y a plus d'essence, les gens qui n'habitent pas à une distance pouvant être parcourue à pieds de notre résidence ne pourront pas venir chercher leur "boîte de dépannage" sur le pas de notre porte.

Les vivres et approvisionnement que vous aurez réussi de peine et de misère à empiler, c'est tout ce que vous aurez pour survivre. Qui choisirez-vous? Vous-même et vos enfants, ou ceux qui lorsque c'était le temps de se préparer n'ont rien fait quand vous les avez avertis? Pourrez-vous vous permettre de distribuer des boîtes de vivres à un, puis à un autre, puis à tous ceux qui viendront cogner à votre porte (ou même qui ne se gêneront pas du tout pour défoncer votre porte)? Pour une pandémie qui va durer plus d'une année, jusqu'à 18 mois peut-être, avec plusieurs vagues successives, votre approvisionnnement devient vital. Je pense que rendu à ce point, c'est "ta vie, ou la mienne". Le choix est déchirant.

Les suggestions de Fla_Medic concernant l'entraide de voisinage, j'aimerais bien pouvoir les mettre en place dans mon entourage. Mais pour ce genre de réflexion, il n'existe pas beaucoup de documentation. sugarquill fait référence à l'expérience du verglas survenu au Québec il y a quelques années. Nous avons vu une certaine forme d'entraide émerger de cette situation de crise. Jusqu'à quel point les gens ont-ils été hospitaliers et généreux, il faudrait toutefois creuser à ce sujet. Et surtout ne pas perdre de vue qu'il s'agissait d'une panne d'électricité, et non pas d'un virus mortel extrêmement contagieux.

Comme je l'ai indiqué dernièrement dans un de mes blogues ("Comment faire pour souder l'esprit communautaire?") paru dans la Gazette de ce site, après avoir ramé pendant plusieurs semaines, les gens vont probablement ne plus avoir le choix, au bout d'un moment, et ils vont devoir se rallier à leur voisinage s'ils veulent survivre. Certains individus vont émerger du groupe et se transformer en leader communautaire. Certains voisinages et quartiers auront plus de chances de s'en sortir que d'autres.

Tout comme le gouvernement et ses agences qui se préparent, nous aussi, citoyens, devrions tous nous préparer à faire face au plus grand désastre de tous les temps. Il y aurait tellement de choses sur lesquelles réfléchir, planifier, organiser, mettre en place, autant dans nos maisonnées, nos voisinages, nos universités, que nos villes. Il est vraiment ridicule de penser que nous arriverons à faire tout cela sans aucun appui et aucune aide des gouvernements. Les communautés de bénévoles des autres secteurs de la société sont soutenus. Leur travail est reconnu et apprécié. Pourquoi n'est-ce pas le cas pour les situations d'urgence aussi complexes qu'une pandémie?

Je continue à espérer que mes actions serviront de modèle aux personnes que je connais et qui refusent pour le moment de s'ouvrir les yeux. S'il nous reste encore pas mal de mois et d'années devant nous (avant une pandémie), peut-être que j'arriverai à faire une différence. Mais sinon, si une pandémie se déclenchait dans un avenir prochain, il faudrait que j'assume mes choix et que j'accepte mes limites. Ma priorité des priorités demeurera inconstestablement ma progéniture. Les autres, je les ai déjà "briefés" à ce sujet et ils connaissent ma position. Mais probablement qu'ils n'ont rien compris et qu'ils ne m'ont même pas écoutée (comme pour tout le tralala que je leur débite au sujet du H5N1 et d'une pandémie). Mais au moins je leur ai dit, et quand nous aurons les pieds dans une pandémie, je n'aurai d'autre choix que de leur réciter la fable de Jean de la Fontaine "La cigale et la fourmi".

" (...) Que faisiez-vous au temps chaud?
Dit-elle à cette emprunteuse.
Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
Vous chantiez? j'en suis fort aise:
Eh bien! dansez maintenant. "